Journal C'est à dire 207 - Février 2015

D O S S I E R

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Argent Les banques assaillies par les frontaliers

Depuis le déplafonnement du franc suisse, les travailleurs frontaliers se sont rués dans les agences bancaires de la place pour bloquer le change à un taux très avantageux.

rue ont été assaillies de demandes au guichet et de coup de fil de frontaliers qui ne vou- laient pas passer à côté de cet- te opportunité. “On se serait cru aux soldes dans un grand maga-

change comme bon leur semble, pour une durée de six mois ou un an, lorsqu’ils jugent que celui- ci leur est profitable. C’est le cas en ce moment. La situation est similaire à celle de 2011,

L ’annonce inattendue de la Banque Nationale Suisse (B.N.S.) d’aban- donner la parité plan- cher de 1,20 s’est traduite par une appréciation immédiate du franc suisse par rapport à l’eu- ro. Le 15 janvier, le taux chan- ge a chuté de 1,20 à 0,86 tem- porairement avant de se stabi- liser autour d’1,04. Une aubai-

sin” sourit un conseiller dans une banque du Haut-Doubs. “À l’entrée d’une de nos agences, les gens faisaient la queue sur le trottoir. Les clients

lorsque le franc suisse a atteint la parité avec l’euro (1 franc suisse = 1 euro). Déjà à l’époque on avait assis- té à ce même phéno-

“Les gens faisaient la queue sur le trottoir.”

ne pour les travailleurs fron- taliers qui ont vu leur pouvoir d’achat faire un bond de 20 % ! À la suite de cet événement, la majorité des frontaliers qui ont eu le nez creux se sont pré- cipités dans leur agence ban- caire pour demander à bloquer le taux de change puisque le système leur permet. Les banques qui ont pignon sur

mène d’empressement des fron- taliers de bloquer le taux de change avant que la B.N.S. déci- de officiellement de le mainte- nir à 1,20. “La garantie de chan- ge ne s’applique pas sur l’inté- gralité du salaire, mais sur une partie seulement” précise Éric Daclin. Cette règle à laquelle s’astreignent les banques en général est une sécurité pour un client qui devra continuer à alimenter son compte en francs suisses à hauteur du montant et de la durée prévus dans le contrat et ce, même s’il perd son emploi. C’est d’ailleurs en rai- son de l’instabilité de leur pos- te que les intérimaires fronta- liers ne peuvent pas demander à bénéficier d’une garantie de change. Si la situation est envieuse d’un point de vue financier pour les frontaliers, elle n’en reste pas moins inquiétante pour les ban- quiers de la place qui n’ont pas accueilli comme une bonne nou- velle la décision de la B.N.S. d’abandonner le taux de chan-

venaient pour mettre en place une garantie de change” rap- porte Éric Daclin, directeur du Crédit Mutuel. Les frontaliers ont cette pos- sibilité de bloquer le taux de

ge plancher. “Cela n’est pas bon pour les entreprises suisses qui exportent et qui voient leurs prix majorés de 20 %. Le contexte va les obliger à s’adapter, soit en se séparant d’une partie de leur personnel, soit en abaissant les salaires, soit encore en deman- dant aux collecteurs d’effectuer des heures supplémentaires sans les rémunérer pour cela esti- me Éric Daclin. Ce n’est pas bon non plus pour le Haut-Doubs,

car tout ce qui déstabilise les frontaliers déstabilise les mar- chés locaux. Ces périodes d’in- stabilité ont plutôt tendance à geler les investissements plutôt qu’à les encourager.” Si le nombre de frontaliers était en croissance ces dernières années, il y a fort à parier qu’en l’état, le taux de change freinera l’em- ploi, pire le fera reculer.

Les frontaliers bloquent leur taux de change pour une partie de leur salaire.

T.C.

Témoignage

2015-2016 Le taux de chômage devrait augmenter

“Attention avant de bloquer votre taux de change” Patrick C. travaille en Suisse mais il vient d’être mis en chômage partiel. En octobre dernier, il avait bloqué son taux de change et se retrouve aujourd’hui coincé pour honorer ses échéances bancaires.

tions vont marquer le pas. “Elles devraient accuser une baisse notable durant le premier semestre de l’année en cours. Elles pourront bénéficier plus tard de l’amélioration du contexte inter- national. Les clients qui resteront fidèles aux produits suisses malgré l’appré- ciation du franc accroîtront de nouveau leur demande.”

Le centre de recherches conjoncturelles de Zurich redoute que franc suisse trop fort pénalise l’économie helvétique pour les deux prochaines années.

D urant l’été 2011, on a assis- té à une parité presque par- faite entre le franc suisse et l’euro. Jamais cela ne s’était produit dans l’histoire de la monnaie helvétique. À l’époque, la Banque Natio- nale Suisse n’avait pas tardé à réagir en fixant un taux plancher de 1,20 afin d’éviter que ce franc fort ne pénalise l’économie suisse tournée principale- ment vers l’export. En janvier 2015, la B.N.S. a abandonné le taux plancher du franc suisse par rapport à l’euro, ce qui a entraîné une hausse immédiate de la monnaie helvétique. Tout le mon-

de s’interroge sur les remèdes que la B.N.S. va administrer cette fois-ci pour reprendre la main sur sa monnaie et dans quels délais.

Car les risques qui pesaient il y a quatre ans sur l’économie suisse sont à nouveau d’actua- lité. L’événement monétaire a conduit le K.O.F. (centre de recherches conjoncturelles) de

Cette situation monétaire devrait avoir des répercussions sur l’économie intérieure suis- se et se traduire par un recul des investissements et de la consommation. Selon le K.O.F.,

Le chômage à 4,9 % en 2016.

Zurich à revoir ses prévisions à la bais- se. Il prévoit “une chute de la perfor- mance économique au cours de l’été 2015. Le taux de chômage devrait aug- menter.” Selon le K.O.F., les exporta-

il faut s’attendre au final à ce que le taux de chômage en Suisse s’établis- se à 4,4 % en 2015 et atteigne les 4,9 % en 2016. Il était de 3,2 % en 2014, enco- re proche du plein-emploi.

C’ est à dire : Quelle est votre situation ? Patrick C. : Je travaille dans une petite entreprise suisse qui tra- verse une période délicate. Tous les salariés ont été mis au chômage partiel pour une durée de trois mois. Je perçois donc depuis ce mois-ci un salaire diminué de 20 %. Seu- lement, j’avais souscrit en octobre un contrat de blocage du taux de change avec ma banque. Le taux avait été bloqué à 1,21 et pendant un an ce taux ne bouge pas. Le prin- cipe : si le taux de change augmente, je suis gagnant, s’il baisse je suis perdant. Sur ce contrat, il y a une clause qui stipule que si vous chô- mez ou si vous décédez, le contrat peut être arrêté par anticipation. Seulement, mon banquier me dit que ça ne marche pas et si je l’ar- rête, je devrai à la banque 6 500 euros. Tout cela m’a-t-on expli- qué parce que c’est une société de placement qui avance l’argent à la banque. Avec la hausse récen- te du franc suisse, je me retrouve avec 20 % de revenus en moins

et j’ai une somme de 4 300 francs suisses à verser tous les mois. Avec ce chômage partiel, je ne peux plus le faire. Càd : Vous tirez la sonnette d’alarme ? P.C. : Normalement, je devrais retrouver mon emploi à plein-temps dans quelques mois. Mais je pré- viens surtout les frontaliers d’y regarder à deux fois avant de fai- re ces contrats de blocage du taux de change avec leur banque. Si on perd son emploi, ça devient très compliqué d’autant que les péna- lités sont lourdes si on arrête le contrat par anticipation. Cette his- toire de blocage du taux de chan- ge, c’est tout bénéfice, à condition de ne pas se faire licencier. Et côté suisse, on peut être viré du jour au lendemain. Il y a tellement de gens qui cherchent du travail en Suis- se ! Et avec cette histoire de taux de change, la conjoncture suisse s’est vraiment tendue. Recueilli par J.-F.H.

Selon les statisticiens suisses, l’économie helvétique sera pénalisée pour au moins deux ans.

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