Journal C'est à dire 206 - Janvier 2015

L A P A G E D U F R O N T A L I E R

34

PLONGEON GLACIAL AU CŒUR DE LA SIBÉRIE SUISSE

Comme Mouthe, le village de La Brévine en Suisse se distingue par des records de froid. Le record a été établi avec - 41,8 °C le 12 janvier 1987 contre - 36,7 à Mouthe. Plongeon dans le frigo.

de l’antigel dans les moteurs des véhi- cules ou d’enterrer des conduites d’eau profondément dans le sol. Ce froid, vécu comme une faiblesse, s’est transformé en force grâce à une poignée d’habitants. Jean-Maurice Gasser en fait partie. Avec des com- merçants, ils se sont interrogés : “Com- ment attirer les touristes ici ?” C’était en 2011. Ils créent alors une asso- ciation et recherchent des sponsors, bouclent un budget (17 650 francs suisses cette année) et proposent de nombreuses animations autour du te. “L’argent de la manifestation sert à promouvoir le tourisme : nous avons créé le chemin des bornes et nous envi- sageons de mettre à disposition des vélos électriques l’été. On aimerait aus- si acheter une remorque du froid pour se déplacer sur des événements et ain- si promouvoir notre vallée en offrant une coupe de champagne dans un espa- ce reproduisant les - 40 °C” explique- t-il. Sans subventions des communes, les Bréviniers montrent de quel bois ils se chauffent. Une belle initiative montagnarde. E.Ch. 17 h 30 à 19 h : Apéritif offert sur le lac avec grand feu dʼartifice (au lac) 19 h 30 à 24 h : Différents repas du terroir en musique dans les restaurants participants. Un service gratuit des cars postaux sera disponible au Cerneux, La Brévine, Ponts-de-Martel… froid. Les médias relaient l’événement. Voilà la fête du froid lancée avec plus d’un mil- lier de personnes réunies sur le lac gelé. L’entrée est gratui- Le programme du 7 février 9 h à 17 h : Snow-up avec départ et arrivée au Lac des Taillères 10 h à 17 h : Animation au Village du Froid sur le lac : traîneaux, sculpteurs, montgolfière, jeu-concours pour les enfants 12 h à 14 h : Fondue Chaux-des- Taillères dans les restaurants de la Val- lée

Rendez-vous samedi 7 février

“La fête du froid” : un événement devenu chaud bouillant Samedi 7 février, La Brévine organise la 4 ème fête du froid au bord du lac des Taillères. Créée par des commerçants pour dynamiser le tourisme de la vallée, l’opération a réus- si à transformer une faiblesse en force.

La grotte de Montlési au sommet de la Brévine est le plus important glacier souterrain du Jura franco-suisse. Le Français Yvan Binot la fait visiter.

D emandez à un Français qu’il vous donne le nom du village le plus froid de France : il répon- dra Mouthe. Les Suisses disent sans hésiter La Brévine, commune du canton de Neuchâtel voisine de la frontière qui alimente régulièrement les bulletins de Météo Suisse pour ces températures sibériennes. “Quand on

pose d’un microclimat : il n’est pas rare d’y rencontrer des températures infé- rieures de 10 °C ou davantage à celles des villages avoisinants. Passé Le Cer- neux-Péquignot, le mercure remonte. Cette situation peut se rencontrer tou- te l’année, mais est particulièrement fréquente en période hivernale : “La vallée de La Brévine connaît ainsi des températures extrêmement basses en phie de l’université de Neuchâtel qui a étudié le phénomène. Le microcli- mat s’explique selon l’expert par l’air froid présent (plus dense que l’air chaud) qui s’accumule dans la val- lée. “Ce lac d’air froid se forme en géné- ral entre le hameau de la Bouille et celui du Quartier, sur 20,3 km de long en moyenne, 1,5 km de large et 54 m de profondeur” explique-t-il. Voilà pour l’originalité climatique. Les habitants des montagnes neuchâ- teloises, eux, n’ont pas besoin de ces études pour se protéger. Ils se sont adaptés en n’oubliant pas de verser hiver : on y mesure régulière- ment des valeurs inférieures à - 20 voire - 30 °C” explique Geoffrey Klein, assistant-doc- torant à l’Institut de géogra-

dit à un Suisse que l’on habite à la Bré- vine, il dit tout de suite : “il fait trop froid là-bas.” Tout le monde nous connaît” s’amuse Jean-Maurice Gasser, habitant de La Brévine (689 habitants) à l’origine de la fête du froid, événement incon- tournable du début d’année. Le village situé à 1 043 mètres d’altitude lové entre deux collines dis-

U ne page se tourne pour Rose- Marie Blondeau. Cette habitan- te de La Brévine avait l’habitude depuis 45 ans, avec son mari Marcel décédé depuis, de se rendre aux deux stations météorologiques pour y relever la température, la première située au Pré-Sec à l’entrée du village et à la seconde au centre. En près de 45 ans, les Blondeau n’ont jamais man- qué un rendez-vous. “J’ai eu ce défaut professionnel d’être toujours rigoureu- se en transmettant mes données aux mêmes heures à Météo Suisse” dit hum- blement cette habitante pour qui ce travail s’est transformé en passion. Avant que les deux stations ne soient automatisées en 1997, Rose-Marie et son époux se rendaient trois fois par jour auprès des appareils de mesures pour relever les températures. “On y allait à 7 h 30, 13 h 30, 19 h 30” dit- elle. Et parfois, les narines collaient tellement le froid était vif. Ce fut le cas lors de ces fameux - 41,8 °C enre- gistré au village. C’est Rose-Marie qui l’a fait valider. “Ce froid a duré une Analyse climatique La fête du froid menacée par le réchauffement climatique ? D epuis 2011 quʼils organisent leur manifestation, les bénévoles ont bénéficié de “bonnes” conditions hiver- nales. Mais force est dʼadmettre que le lac des Taillères est gelé moins long- temps, que les semaines à - 20 °C sʼamenuisent. Mais le froid reste pré- sent : il a par exemple fait - 34 le 20 décembre 2009, - 30 le 30 novembre 2011, - 35 le 1 er janvier 2010 et - 22 le 26 janvier 2013… lors de la fête du froid. On est loin de lʼhiver 62-63 où il avait gelé sans interruption de novembre à mars. Les météorologues confirment que les longues périodes de froid régres- sent.

“Comment attirer les touristes ici ?”

Jean- Maurice Gasser à l’endroit exact des - 41,8 °C est l’organisa- teur de la fête du froid de La Brévine.

Portrait Les - 41,8 °C, c’est elle ! Depuis 45 ans, Rose-Marie Blondeau relève es tempé- ratures de La Brévine pour Météo Suisse. Depuis peu, elle a pris sa “retraite”. Rencontre.

semaine à environ - 40 °C, se souvient la Suissesse. Tout le monde en parlait. On a reçu au moins 25 coups de télé- phone de journalistes qui voulaient nous interviewer.” Pour La Brévine, ce fut un record (depuis l’installation d’un appareil de mesure en 1932). Mais ce n’est sans doute pas le plus froid : en 1962, le chiffre de - 42,6 a été enre- gistré mais n’a pas été homologué. L’hiver 1985 fut exceptionnel dans sa durée : “Les cramines (N.D.L.R. : période de grand froid) se sont pour- suivies ensuite mais n’ont jamais duré si longtemps depuis, se souvient la météorologue avertie. Heureusement à ces températures, il n’y a pas de bise. Et c’est à 8 h 10 que le froid est le plus intense, lorsque le soleil se lève” dit l’experte. Depuis le 1er octobre dernier, Marie- Rose a cédé sa place à une autre habi- tante qui surveille les deux stations. Cette dernière assure l’assistance en cas de détériorations ou de pannes. Au village, la station fait office de monu- ment : un parcours fléché indique son

Rose-Marie Blondeau a enregistré les températures pour Météo Suisse

Températures relevées par Rose-Marie depuis 45 ans

pendant 45 ans avant de transmettre le flambeau en octobre dernier.

- 42,6 °C en 1962 (record non homologué) - 39 °C le 15 janvier 1979 - 33 °C en 1981 - 40,5 °C le 5 janvier 1985 - 40,6 °C le 6 janvier 1985 (à 7 h 30) - 41,5 °C le 6 janvier 1985 (à 10 h) - 41,2 °C le 7 janvier 1985

- 30,2 °C le 8 janvier 1985 - 40,8 °C le 9 janvier 1985 - 41 °C le 12 janvier 1987 - 41,8 °C le 12 janvier 1987 (à 8 h 10) - 22 °C le 5 mars 1990 - 26,8 °C le 4 janvier 1995 - 36,7 °C le 24 décembre 2001

emplacement (à côté de l’église). Rose- Marie a aussi arrêté la phénologie (flo- raison, feuillaison, date des foins) mais a gardé son amour pour la terre… et le froid.

Made with FlippingBook - Online catalogs