Journal C'est à dire 203 - Octobre 2014

D O S S I E R

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Ambiance Rencontre avec ceux qui doutent de la fusion

Le 1 er octobre dernier, la présidente de Région Marie- Guite Dufay a défendu dans une réunion publique le mariage de la Bourgogne et de la Franche-Comté. Mal- gré une batterie d’arguments déployés, elle pas vrai- ment convaincu les “union-sceptiques”.

finalement peu nombreux, déduction faite des élus et autres militants politiques qui avaient fait le déplacement. Ceux-là étaient venus en découdre avec la présidente de Région Marie-

me m’a tout l’air d’être “piège à con” pour les Francs-Comtois comme je l’ai lu sur la pancar- te qu’une personne tenait dans le public. Elle sert à quoi, je n’en sais rien. On se marie d’abord

Guite Dufay souvent critiquée pour s’être engouffrée tête baissée dans cette réforme sans avoir pris la mesure du risque pour la Franche-

et les projets viendront ensuite. Est-ce que je vais payer plus d’impôts ? Voilà une question concrète” s’agace-t-il. Il n’est pas

E lle aurait pu se conten- ter d’attendre l’officialisation de l’union de la Franche- Comté et de la Bourgogne défi- nie par le projet de loi de réfor- me territoriale qui a été adop- té par les députés en juillet. Rien n’obligeait Marie-Guite Dufay à donner la parole aux Francs- Comtois et à aller à leur ren- contre comme elle l’a fait à l’occasion de quatre réunions publiques pour discuter du mariage annoncé de nos deux régions. Une union forcée pour les uns dans laquelle la Franche- Comté a tout à perdre. Elle est

“Dans le flou le plus total.”

pour d’autres nécessaire et ver- tueuse. Une de ces rencontres s’est déroulée à Besançon le 1 er octobre. Un constat : le sujet n’attire pas les foules - fallait- il s’attendre à autre chose alors que les missions de la collecti- vité sont méconnues de la plu- part des administrés ? Environ 200 personnes avaient pris pla- ce dans le Kursaal. Les gens venus en curieux pour tenter d’y voir plus clair dans ce sujet complexe, et essayer peut-être de comprendre les enjeux de cet- te union soudainement annon- cée comme essentielle, étaient

Comté. “C’était couru d’avance, le débat tourne à la politique. Il n’y a rien de concret” peste Denis en quittant le Kursaal préma- turément, persuadé qu’il n’obtiendra aucune réponse à ses questions. Cet employé de la fonction publique territo- riale à Besançon était là pour être rassuré. Pour lui, l’union de la Bourgogne et de la Franche-Comté est synonyme, à plus moins long terme, de mutation à Dijon. “Cette réfor-

le seul à redouter que Besan- çon perde son âme en même temps que son titre de capitale régionale dans cette affaire avant d’être doucement dépouillée de ses services publics au profit de Dijon. La réforme sonnerait donc au pire le déclin, au mieux la stagnation, pour la cité comtoise. Pour beaucoup, la ville ne fait pas le poids face à la capitale bourguignonne “qui a l’avantage d’avoir des élus importants comme François Reb- samen (actuel ministre de l’Emploi) qui ne nous feront aucun cadeau, j’en suis sûr” redoute Michel, un retraité. Le débat fait ressurgir chez cer- tains le vieux complexe d’infériorité des Bisontins face aux Dijonnais. “Vous pensez sérieusement qu’à terme les ser- vices d’État régionaux comme la D.R.E.A.L. ou même la pré- fecture resteront à Besançon ? Je suis sceptique” enchaîne Gérard. Pour Robert qui est issu de l’Éducation nationale, il ne fait aucun doute que “cette réfor- me est précipitée, trop hâtive. On met la charrue avant les bœufs. On nous dit pour commencer que cette union a pour but de réaliser des économies. Mais je n’ai obtenu ce soir aucun détail sur ce point. Personne n’a fait préalablement une analyse des économies à réaliser. On nous dit maintenant qu’elles vien-

Marie-Guite Dufay a tenu des propos qui étaient censés rassurer les Francs-Comtois.

la Caisse d’Épargne” pointe du doigt Nathalie. Étudiant à la fac de lettres, Ben- jamin a fait part de son inquié- tude à la présidente. “Si l’on fusionne les régions, l’Université de Franche-Comté sera forcé- ment impactée. Vous nous dites que tout ne partira pas à Dijon. Mais tout ne restera pas ici et notamment les sciences humaines. Beaucoup d’étudiants n’auront pas les moyens d’aller là-bas.” Le mariage de ces deux régions pose des problèmes concrets qui appellent des réponses précises de la part du pouvoir politique qui ne les a pas vraiment. En l’état des discussions, les détient- il au fond ? Pas facile pour la majorité régionale de défricher le terrain d’une réforme qui est minée par le scepticisme. Et Michel de conclure : “Qu’on le veuille ou non, cette réforme se fera. Ce que j’ai appris ce soir, c’est que nous découvrirons son intérêt ou ses conséquences néga- tives, au fil du temps.” Atten- dons de voir donc. Les dés sont jetés, mais le jeu est ouvert. T.C. Franche-Comté est que les problé- matiques transfrontalières passent au second plan. Faut-il redouter par exempleque lavalorisationde la ligne desHorlogers souhaitée par des élus locaux français et suisse, qui relève de la compétence du Conseil régio- nal, reste au fond des cartons faute de trouver un intérêt suffisant aux yeux des Bourguignons qui seront majoritaires dans la future assem- blée régionale ? Ces inquiétudes sont injustifiées selon Marie-Guite Dufay. “Cette coopération transfrontalière qui est unique est porteuse de riches- se. L’enjeu est au contraire de la renforcer” annonce la présidente du Conseil régional de Franche- Comté. Les Francs-Comtois vont faire entendre aux Bourguignons tout l’intérêt d’entretenir les liens déjà tissés localement avec la Suis- se. Le Conseil des sages de 18 membres mis en place par Mada- me Dufay pour réfléchir à cette fusion va même plus loin. “L’Arc Jurassien franco-suisse (N.D.L.R. : ce territoire réunit la Franche-Com- té et quatre cantons suisses) devra s’étendre à la Bourgogne. Cela va permettre aux Bourguignons d’avoir une ouverture internationale inté- ressante.” Il faut souhaiter main- tenant que les Bourguignons l’entendent de cette oreille. U ne des craintes entendues dans le cadre de la fusion entre la Bourgogne et la

dront plus tard. Cela donne le sentiment que cette réforme a été très mal préparée. On est dans le flou le plus total. Cette navigation à vue me laisse dubi- tatif. Pourtant, je ne suis pas contre ce mariage. Mais des coopérations inter-régions ont déjà été mises en place, tra- vaillons d’abord au renforce- ment de ces liens avant d’aller plus loin.” Le 1 er octobre, les “unions-scep- tiques” étaient nombreux au Kursaal. Malgré la batterie d’arguments déployée par Marie- Guite Dufay et les autres inter- venants dont des élus bourgui- gnons pour défendre l’intérêt de ce mariage des territoires qui n’entraînera pas le déclin de Besançon, elle ne les a pas convaincus. Des questions sub- sistent sur l’avenir de la san- té ou de l’université dans la capi- tale comtoise. “Le risque est que les investissements se fassent à Dijon demain et que des ser- vices et des sièges sociaux démé- nagent. On l’a déjà vu avec le regroupement de la Chambre régionale des comptes à Dijon ou le transfert du siège social de

“La région n’est pas la propriété de ses élus” Jean-Philippe Allenbach Le chantre du fédéralisme tire, on s’en doutait, à bou- lets rouges sur le projet de fusion. En l’absence de réfé- rendum, il va lancer lui-même un sondage auprès des Francs-Comtois.

C’ est à dire : Il suffit de voir votre vitrine pla- ce du 8-Septembre pour comprendre votre colè- re ! Pourquoi ce projet de fusion a-t-il réveillé vos ardeurs ? Jean-Philippe Allenbach : Ce projet de fusion est tout sim- plement une atteinte à notre liberté. Ne restera de la Franche- Comté que la cancoillotte et le jésus de Morteau, le reste n’existera plus. La Franche-Com- té n’aura plus aucun pouvoir. Il est évident qu’il faut poursuivre les partenariats avec la Bour- gogne, mais de là à transférer toutes nos compétences, c’est une violation de la Constitution d’après laquelle les décisions doivent être prises au niveau le plus bas. Ce qui m’intéresse, de la Franche-Comté et de ses habitants. La seule question qui vaille est : cette réforme est-elle bonne ou mauvaise pour nous ? Si on nous répond qu’il y a tout à inventer, c’est grave. Imagi- nez un projet de fusion d’entreprise où les dirigeants répondraient qu’il y a tout à inventer ! Avec cette fusion, la Franche-Comté perd tout sim- plement sa personnalité juri- dique et son autonomie bud- gétaire et financière. Nous pas- sons dans un état d’annexion total. Càd : Vous refusez toute idée de fusion alors qu’il y a quelques mois seulement vous prôniez l’intégration de la Franche-Comté à la Suisse ! Ce n’est pas un peu contra- dictoire ? c’est la Franche-Com- té et rien d’autre. La mission du Conseil régional est de défendre les intérêts

J.-P.A. : J’avais rebondi à l’époque où la Wallonie belge voulait faire sécession et que certains élus français l’avaient invitée à venir se rattacher à la France. En disant cela, j’affirme seulement que la Franche-Com- té se porterait beaucoup mieux si elle était un canton suisse. C’est une évidence, il suffit de comparer les chiffres. Càd : Pourquoi la Franche- Comté serait-elle perdante dans une future région dotée d’un budget qui sera au moins deux fois supérieur à l’actuel budget de la Franche-Comté ? J.-P.A. : Mais avec plus d’élus bourguignons que d’élus francs- comtois, qui va décider ? Natu- rellement les Bourguignons. On ne pourra s’opposer à aucune dépense pour la Bourgogne. Sauf si on a la certitude que dans la future assemblée, le nombre d’élus francs-comtois est supé- rieur alors là, je signe tout de suite pour la fusion. On peut être benêt et naïf, mais quand il y aura des choix à faire, c’est bien celui qui aura la supério- rité qui décidera. Une preuve de plus : si l’avis des Bourgui- gnons sur la fusion semble plu- tôt favorable, c’est bien parce que les Bourguignons savent qu’il y a aura un gagnant à cet- te fusion et que ce sera eux. Càd : Vous êtes donc oppo- sé à toute idée de réforme ter- ritoriale ? J.-P.A. : Je suis pour une pro- fonde réforme territoriale, mais en donnant plus de moyens aux ne pourra plus dépen- ser aucun centime pour la Franche-Comté sans l’accord des Bourgui- gnons et à l’inverse, on

régions. La plupart des régions en Europe qui ont une taille équivalente à la Franche-Com- té ont un budget parfois dix fois supérieur au nôtre. Le canton de Neuchâtel a un budget de 8 000 euros par habitant, contre à peine 450 euros en Franche- Comté. Il faut que l’État central relâche de l’argent aux Régions. Il ne faut laisser à l’État que le minimum du nécessaire et aux Régions le maximum du pos- sible. En France, les deux tiers du budget tiré de l’impôt sert à l’État et à peine 30 % aux régions alors que partout ailleurs en Europe, c’est la proportion inverse. Càd : Vous réclamez un réfé- rendum ? J.-P.A. : La région n’est pas la propriété de ses élus, mais de ses habitants. Si on ne fait pas un référendum, alors faisons pour le moins un sondage. C’est tout de même un peu fort que les élus ne cherchent même pas à se renseigner sur l’état de l’opinion. Ils n’en ont rien à fai- re, c’est effarant. Tous ces gens qui ont la démocratie partici- pative à la bouche sont inca- pables d’appliquer leurs belles idées. Les élus sont pris en fla- grant délit de déni de démo- cratie. C’est la raison pour laquelle je m’apprête à com- mander un sondage officiel qui sera mené en Franche-Comté et en Bourgogne. Propos recueillis par J.-F.H. Jean-Philippe Allenbach : “On a tout à perdre et rien à gagner de cette réforme.”

L’Arc Jurassien devrait être étendu à la Bourgogne Suisse Les Francs-Comtois veulent défendre auprès des Bourguignons l'intérêt de continuer à valoriser les relations transfrontalières.

“Un flagrant délit de déni de démocratie.”

Est-ce que les Bourguignons, qui seront majoritaires dans la future assemblée, trouveront un intérêt à valoriser par exemple la ligne ferroviaire des horlogers ?

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