Journal C'est à dire 203 - Octobre 2014

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“Je prends le risque de m’exposer et je l’assume” Marie-Guite Dufay La présidente de Région Marie-Guite Dufay revient en détail sur la réforme territoriale. Elle défend l’union de la Bourgogne et de la Franche-Comté, y compris face à ceux qui doutent de l’opportunité de ce mariage. Rencontre.

C’ est àdire : Pouvez- vous nous dire finalement à quoi sert cette réforme ? Marie-Guite Dufay : L’union fait la force ! Dans le contexte actuel, nous sommes des nains. Ce constat vaut pour la Franche- Comté et pour la Bourgogne. Les Régions doivent s’unir pour assu- mer les compétences dans les domaines de la recherche par exemple, de l’économie. Il faut d’autres moyens pour accom- pagner le développement de nos territoires et encourager la créa- tion d’emplois. En fusionnant, nous aurons accès à d’autres modes de financement qui vont nous permettre d’être plus effi- caces pour l’économie de demain. Ces moyens ne seront plus abor- dables pour les petites régions. C’est du bon sens aujourd’hui de dire que nous avons besoin de territoires forts. Càd : Comment expliquez- vous qu’il y ait autant de per- sonnes réfractaires à cette réforme ? M.-G.D. : Je ne dirais pas que le doute est majoritaire, mais il y a une demande d’explication forte. Je rappelle que plus de 60 % de la population est favo- rable à cette réforme. Tout le monde sent bien qu’on ne peut pas rester dans cette situation et qu’il faut avancer vers la fusion. Le problème est que nous sommes dans un système telle- ment compliqué que personne ne sait de quoi on parle. C’est

pour cela que lors des réunions publiques, j’ai souhaité que l’on fasse un rappel sur les compé- tences des Régions. Càd : Lors de l’annonce de la fusion des Régions au prin- temps dernier, vous avez lais- sé entendre que cette fusion permettrait de faire des éco- nomies. Or, à la réunion publique de Besançon vous avez expliqué que les éco- nomies viendraient ulté- mier de cette fusion était de fai- re des économies. J’ai parlé de l’économie, ce qui est différent, parce que je considère que la responsabilité que la Région est d’être aux côtés des porteurs de projets dans des secteurs d’activité innovants tels que la transition énergétique. J’ai expliqué aussi qu’à une époque où les budgets sont contraints, des économies se feraient pro- gressivement dans le temps à la suite de cette fusion qui va permettre de mettre en place des groupements d’achat com- mun par exemple. Mais les éco- nomies principales se feront sur les postes lorsque nous auront mutualisé les moyens. Savez-vous qu’en Franche-Com- té nous devons faire 10 millions d’euros d’économie sur le bud- get de décembre et cela sans tou- rieurement. La fusion est-elle oui ou non synonyme d’économies ? M.-G.D. : Jamais je n’ai dit que le but pre-

cher aux services que l’on rend ? Nous sommes déjà dans une démarche de gestion efficace. Càd : Ne craignez-vous pas que les Bourguignons qui seront majoritaires dans la future assemblée régionale tirent la couverture à eux ? M.-G.D. : Croyez-vous que le Jura qui est sous-représenté au Conseil régional de Franche- Comté par rapport au Doubs est oublié ? Nous sommes dans de pas une question de nombre d’élus qui pourraient obtenir plus de subventions pour un ter- ritoire au détriment d’un autre. Nous ne sommes pas dans un rapport de force. S’il devait y en avoir un, ce serait entre l’urbain et le rural. La principale crain- te que j’entends vient des ter- ritoires ruraux qui ont peur d’être abandonnés. Je le répète, notre rôle est de travailler à un développement harmonieux de l’ensemble. Càd : À l’occasion de la réunion du 1 er octobre, la question vous a été posée d’organiser un référendum sur ce sujet. Vous vous êtes opposée à cette idée, pour- quoi ? M.-G.D. : J’ai peut-être répon- du de façon un peu raide. On la stratégie. Notre rôle d’élu est de savoir comment un territoi- re peut participer au développement de l’ensemble. Ce n’est C’ est à dire : Quelle est votre opinion sur cette réforme institutionnelle ? Annie Genevard : Le projet de loi arrivé cette année a été exa- miné au Parlement en procé- dure accélérée au mois de juillet, ce qui montre d’emblée que cet- te réforme a été faite dans l’impréparation et la précipita- tion. Càd : Le Premier ministre que vous avez entendu lors du récent congrès de l’association nationale des élus de la montagne ne vous a pas rassuré sur cette réfor- me ? A.G. : C’est à n’y plus rien com- prendre. À l’image de la réfor- me annoncée des Départements. On annonce d’abord la redéli- mitation des cantons, avant de nous annoncer que les Dépar- tements seraient supprimés en 2020. Sur ce point, j’ai été une des premières à déposer un

Marie-Guite Dufay : “Je ne dirais pas que le doute est majoritaire, mais il y a une demande d’explication forte.”

“Le référendum n’est pas prévu.”

agite cela comme un chiffon rou- ge. Mais le référendum n’est pas prévu par le gouvernement. Il n’est pas imaginable non plus d’organiser des référendums consultatifs dans chaque région.

de ce travail d’échange au pré- sident de la République sous la forme d’un livre blanc. Je prends le risque de m’exposer. Je l’assume. Mais sur cette réfor- me, il y a tellement de contre- sens et d’ambiguïtés, que j’ai

ni des fonctionnaires qui sont à la manœuvre. J’attends de ce travail des éléments d’envie, de peur aussi. Le résultat de cet- te réflexion collective figurera dans le Livre blanc. Càd : Quel projet voudriez- vous voir mener en premier dans le cadre de l’union de la Bourgogne et de la Franche-Comté ? M.-G.D. : L’énergie, c’est le pre- mier chantier à mener. Il faut engager la réhabilitation ther- mique des logements. La Région doit prendre des risques aux côtés des banques et s’engager avec des gens qui ont par exemple des projets dans le pho- tovoltaïque. Je précise qu’on crée en ce moment une société d’économie mixte entre la Bour- gogne et la Franche-Comté pour les énergies renouvelables. Propos recueillis par T.C. Doubs, cette réforme ne peut rien apporter de bon ? A.G. : Je crains franchement de voir la montagne qui sera tout à l’Est de cette grande région dilatée à l’Ouest, encore plus marginalisée. Ce qui me fait peur, c’est que jamais jusqu’ici on n’a parlé de ce territoire de montagne. Plus largement, sur le plan économique, je ne consta- te que très peu de collaborations avec la Bourgogne, alors qu’il y en a avec l’Alsace et Rhône- Alpes. Càd : Quelle réforme aurait- il fallu faire ? A.G. : Le travail collaboratif entre les Départements et les Régions proposé par la droite il y a quatre ans était, je pense, le bon. Personne ne le dira haut et fort parce qu’il est frappé de l’infamie car proposé par un gouvernement de droite, mais de plus en plus de voix s’élèvent pour dire que c’était la bonne réforme à faire, moins trau- matisante pour les territoires et plus efficace rapidement.

Càd : Pas de réfé- rendum mais des réunions publiques… M.-G.D. : Je suis la seule présidente de Région de France à

besoin de me confronter aux gens pour expliquer les choses. Càd : Un budget de 72 000 euros a

“Nous ne sommes pas dans un rapport de force.”

été alloué pour organiser deux journées de concerta- tion citoyennes. C’est beau- coup pour une réforme qui est ficelée ? M.-G.D. : C’est la rançon de l’objectivité. Nous avons fait appel à un cabinet expert dans cette méthode qui consiste à fai- re travailler les citoyens sur le projet de création d’une grande Région. Ce ne sont ni des élus,

prendre le pouls des citoyens dans ce dossier, et à donner des explications sur ce qu’est une grande Région et les raisons pour lesquelles il faut la créer. J’ai rencontré des chefs d’entreprise, des associations, des acteurs de la culture, des élus et pas seulement la popu- lation. L’exercice participatif a été très intéressant. J’ai l’intention de présenter le fruit

l’immobilier des lycées. “Une réforme faite dans l’impréparation et la précipitation” Le point de vue de la droite En tant que parlementaire U.M.P., Annie Genevard juge avec circonspection la démarche entamée par la présidente de Région Marie-Guite Dufay. Plus lar- gement, c’est toute la politique de réforme institutionnelle qu’elle fustige.

recours devant le Conseil d’État. Dans une deuxième déclaration, le Premier ministre nous apprend ensuite qu’on va gar- der les départements ruraux et qu’on ferait une fédération d’intercommunalités pour les autres. Tous ces signaux contra- dictoires laissent l’impression désagréable que sur une réfor- me importante, on navigue jus- te au gré des contingences poli- Càd : Une réforme des collectivités est- elle néanmoins nécessaire selon vous ? A.G. : Certainement, mais pas comme celle-ci. Dans ce débat, on ne parle pas non plus de la réforme de l’État en régions. Il faut que l’État dise aussi ce qu’il veut dans cette réforme des Régions. C’est l’angle mort de cette réforme. Un exemple : quand la gestion des lycées a été transférée aux Régions, l’État ne s’est même pas débar- rassé de ses services qui géraient tiques. C’est terrible, et dans cette affai- re les territoires ruraux se sentent abandonnés.

Càd : Comment jugez-vous la démarche volontariste de Marie- Guite Dufay ? A.G. : Dans une négociation, il ne faut pas tout donner tout de suite. Marie-Guite Dufay a été imprudente, elle a péché par rapidité et excès de confiance. Avant de s’engager de façon aus- si rapide, voire précipité, il fal-

lait qu’elle s’assure que la Franche-Com- té trouvera son comp- te dans cette réfor- me. Aujourd’hui, nous n’avons strictement aucune garantie que la Bourgogne ne va

“Tout cela ne fera qu’augmenter les coûts de fonctionnement.”

pas imposer sa loi à la Franche- Comté. Je crains franchement que la Franche-Comté devien- ne le parent pauvre de ce nou- veau ménage. Et quand j’entends parler de l’hypothèse d’avoir deux capitales, tout cela ne fera qu’augmenter les coûts de fonctionnement alors qu’on nous avait présenté la réforme comme étant génératrice d’économies.

Propos recueillis par J.-F.H.

Annie Genevard estime que cette réforme n’a pas pris en compte les intérêts des territoires de montagne.

Càd : Et rapportée au Haut-

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