Journal C'est à Dire 87 - Mars 2004

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D O S S I E R

Médecins libéraux

L’union régionale des médecins libéraux estime qu’il est nécessaire de faire un point précis sur l’activité des médecins afin de pouvoir évaluer les manques. Une difficulté à estimer les besoins de santé

table. Elle mérite d’être affinée en fonction des évolutions sociales, du temps de travail, du choix des médecins de se spé- cialiser ou non, des pathologies. Tous ces paramètres calibrent l’offre de soin. Elle peut varier d’un endroit à l’autre, à nombre de médecins égal. Prévoir tant de professionnels de santé par bassin de popu-

voirs publics estimaient que les médecins étaient trop nombreux. Ensuite, ils ont parlé de pénu- rie et aujourd’hui ils évoquent la mauvaise répartition de ces professionnels de santé sur le territoire. La liberté d’installa- tion des médecins serait sur la sellette, pour remédier à la désertification médicale de cer- taines zones géographiques en particulier dans le milieu rural. cins cherchent une qualité de vie, comme tout un chacun. Pour- quoi iraient-ils s’installer dans des endroits où il n’y pas d’écoles, pas de poste, où il n’y a rien fina- lement. L’idée de leur imposer de créer un cabinet loin des pla- teaux techniques est impensable.” Pour l’instant, aucune décision n’a été prise en ce sens. De son côté, l’U.R.M.L. de Franche- Comté poursuit ses investiga- tions sur la démographie médi- cale à travers une étude tes- tée dans quatre autres unions régionales de médecins libé- raux. ! T.C. J.-M.D. : Je me suis inscrit à un organisme qui a fait des démarches au niveau national. Je suis passé par internet, j’étais en relation avec la faculté de médecine de Grenoble. J’ai écrit au conseil de l’ordre des méde- cins du Doubs, du Jura, de la Haute-Saône, de Saône-et-Loi- re en insistant sur le fait que l’on pouvait faire de la bonne médecine à Morteau où il y a un laboratoire d’analyse, un cabinet de radiologie, un hôpi- tal rural. J’ai précisé aussi qu’il y avait ici un collège, un lycée, une maison de retraite, un centre de long séjour. Tous ces arguments pouvaient attirer un jeune médecin. Une fois enco- re, je n’ai eu aucune réponse… gués médicaux - des représen- tants -, de mon projet de remettre mon cabinet. Ces per- sonnes ont des contacts avec des médecins remplaçants suscep- tibles de s’installer. Finalement, ces délégués m’ont indiqué que le secteur de Morteau manquait d’attractivité même s’il y a du travail pour un médecin. Quand on parle du Haut-Doubs ou de la Haute-Saône, on a l’impres- sion que c’est le bout du mon- de. En fait, je pense que la pos- sibilité de pouvoir pratiquer une bonne médecine dans un sec- teur rural n’est pas un argu- ment suffisant pour attirer les jeunes. Ensuite, il y a les conjoint(es) des médecins qui ont un travail sur Besançon par exemple et qui n’envisagent pas le quitter pour venir à Morteau. À l’inverse, ce qui est étonnant est que cette “ruralité” ne semble pas dissuader les pharmaciens. La plupart des officines du sec- teur ont trouvé un repreneur. L’U.R.M.L. n’admet pas qu’un des piliers de la médecine libé- rale soit remis en question. “Les méde- Càd : Comment expliquez-vous ce désintéressement ? J.-M.D. : Il y a plu- sieurs raisons. J’avais fait part à des délé-

L es pouvoirs publics ne sont pas en mesure aujourd’hui d’estimer avec précision quels sont les besoins en matière de santé. Alors, comment ajuster l’offre de soins aux attentes de la population si on ne dispose pas de données précises sur la démographie médicale ? C’est bien là tout le problème poin- té du doigt par l’union régionale des médecins libéraux (U.R.M.L.). Cet organisme pro- pose en priorité de recenser dans le détail les médecins libéraux et leur activité avant d’appor- ter des solutions à une situa- tion dite de pénurie, dont les contours reposent, pour l’ins- tant, sur des suppositions. L’opé- ration de comptage n’a rien d’une sinécure. “Il existe trois bases de données qui répertorient les médecins libéraux. Il y a celle de l’ordre des médecins, celle des caisses d’assurance maladie, et celle de l’État. Entre ces diffé- rents fichiers, il y a parfois des écarts de 20 % sur le nombre des

médecins enregistrés en fonction de leur spécialité” indique Tho- mas Penn, directeur de l’U.R.M.L. Ces informations sont pourtant nécessaires pour apprécier les manques au niveau des profes- sionnels de santé dans un sec- teur géographique. “Le seul moyen dont on dispose aujour- d’hui pour estimer les besoins est de mesurer la consommation, c’est-à-dire le nombre de consul- tations remboursées par la Sécu- rité Sociale et les mutuelles. De par sa fonction, la Sécurité Sociale dispose d’un outil sta- tistique pour dire que tel jour, un médecin a pratiqué un cer- tain nombre de consultations. C’est une indication sur le volu- me d’activité, mais qui n’est pas détaillée. Par contre, la liste d’at- tente pour obtenir un rendez- vous dans certaines spécialités comme l’ophtalmologie est un indicateur du manque.” L’étude de la démographie médi- cale ne se réduit pas seulement à une simple opération comp-

lation pour répondre à la demande “ne veut rien dire” selon l’U.R.M.L. “L’offre de soin dépend de l’acti- vité des médecins. Par exemple, il y en a qui

“L’offre de soin dépend de l’activité des médecins.”

font de la formation, de l’expertise juridique. Pendant ce temps-là, ils n’auscultent pas de patients. C’est la même chose pour un médecin qui est malade ou une professionnelle qui aurait fait le choix de travailler à mi-temps pour s’occuper de ses enfants. Il faut tenir compte aussi du temps qu’ils passent à gérer leur cabi- net. C’est primordial d’analyser l’activité de chaque médecin pour apprécier l’offre de soins. Quand nous saurons précisément qui fait quoi, alors nous verrons où se trouvent les déséquilibres” poursuit Thomas Penn. Il y a quelques années, les pou-

Thomas Penn : “Quand nous saurons précisément qui fait quoi, alors nous verrons où se trouvent les déséquilibres.”

Réaction

avez-vous entrepris pour vendre votre cabinet ? Le 31 décembre 2003, après 38 ans d’activité, le docteur Dornier, médecin généraliste à Morteau a cessé son activité sans pouvoir remettre son cabinet faute d’avoir trouvé un successeur. Explications. Jean-Marie Dornier : “Je pensais pouvoir remettre mon cabinet” tion compliquée à gérer.

Càd : Vous évoquiez les rem- plaçants. Mais ne croyez-vous pas qu’au fond, les jeunes médecins ont tendance à vou- loir ne faire que des rem- placements, du moins pen- dant un certain temps ? J.-M.D. : Je dirais en effet que “remplaçant” est une nouvelle profession. Ce sont des gens qui travaillent avec un pool d’une dizaine de médecins qu’ils rem- placent. C’est avantageux, ils n’ont pas de cabinet, pas de charges, peuvent prendre des congés comme ils le souhaitent. Càd : Vous vous attendiez à une telle difficulté ? J.-M.D. : Franchement non, je pensais pouvoir remettre mon cabinet. Mais aujourd’hui, les nouveaux médecins essaient d’abord de se spécia- liser. Ensuite, ils s’ins- tallent en périphérie des grandes villes com- me Besançon, à proxi- mité des plateaux techniques. C’est là que s’ouvrent les nouveaux cabi- nets. Càd : Qu’est devenue votre clientèle ? J.-M.D. : Justement, quand on remet son cabinet médical à un médecin, il reprend dans le même temps la clientèle et les dossiers des patients. Or, com- me je n’ai pas de successeur, je me retrouve avec mes dossiers médicaux que je dois garder pendant 30 ans. J’ai redonné les dossiers aux patients qui ont des maladies chroniques. Sinon, ni l’hôpital de Pontar- lier, ni les archives départe- mentales, ni le conseil de l’ordre n’ont été en mesure de me dire ce que je pouvais faire du res- te des dossiers. C’est vrai que j’aurais bien aimé les trans- mettre à un successeur, par- ler de mes malades qui me demandent maintenant vers quel médecin ils doivent se tour- ner désormais. C’est une situa-

Càd : Qu’avez-vous fait de votre matériel ? J.-M.D. : J’en ai gardé une par- tie et le reste, je l’ai donné à Emmaüs à Pontarlier. J’ai ven- du mon cabinet, qui a été trans- formé en appartement. C àd : Ne pensez-vous pas que les jeunes médecins n’envi- sagent plus la médecine générale qu’en association ? J.-M.D. : Si j’avais fait partie d’un cabinet de groupe, j’aurais peut-être trouvé un remplaçant. Selon moi, l’association aplanit les difficultés d’organisation pour les médecins, mais à l’in- verse, elle pose des problèmes d’ordre relationnel. La méde- cine générale est une profes- sion personnalisée et les gens aiment venir voir un médecin qu’ils connaissent. Après, c’est un choix. Càd : Est-ce que la médeci- ne comme vous l’avez prati- quée en médecin indépen- dant a encore un avenir ? J.-M.D. : Un médecin libéral seul a des contraintes, il faut être attentif, disponible. Pour ma part, j’étais disponible tout le temps du lundi au samedi à midi de jour comme de nuit, plus les week-ends de garde. Ces contraintes ne sont pas tou- jours acceptables dans un contexte actuel de réduction du temps de travail. Peut-être que le système va évoluer vers des regroupements de médecins ou des maisons médicales où les professionnels de santé vien- dront consulter un certain nombre d’heures par semai- ne. Je ne pense pas que cela va nuire à la qualité de la méde- cine. Ce sera sans doute une profession moins personnali- sée. Il n’y aura peut-être plus de médecin de famille. !

C’ est à dire : Quand avez-vous commen- cé à chercher un remplaçant ?

Jean-Marie Dornier : J’ai com- mencé de chercher un rempla- çant il y a un an. Aucun méde- cin n’est venu me voir ne serait-

ce pour prendre des renseigne- ments.

Càd : Quelles démarches

“Il n’y aura peut-être plus de médecin de famille.”

Propos recueillis par T.C.

Jean-Marie Dornier : “Si j’avais fait partie d’un cabinet de groupe, j’aurais peut-être trouvé un remplaçant.”

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