Journal C'est à Dire 259 - Novembre 2019

D O S S I E R

Les Écorces

François Boinay, l’orlogeur Installé aux Maisons-Dessous (hameau des Écorces), l’artisan perpétue dans sa vieille ferme familiale une tradition séculaire.

d’un horloger qui l’a eu en mains des années auparavant. L’horloge est le témoin silencieux de la vie d’une famille. François ajoute : “Autrefois, le père de famille en offrait une au fils qui s’installait et l’objet faisait tellement partie du foyer qu’au décès du maître de maison on voilait l’horloge.” Il tra- vaille actuellement sur une pièce très particulière : une horloge à une seule aiguille mais qui sonne l’heure et la demie. Équipée d’un mouvement des Frères Maillet, elle date de la fin du XVII ème siècle. Son autonomie était de cinq à six jours suivant la hauteur à laquelle elle était accrochée. Le passionné ajoute : “Cette horloge est équipée d’une très longue ficelle que l’on emportait dans la chambre et que l’on tirait la nuit pour connaître l’heure.” François Boinay fréquente les brocantes à l’affût de pièces déta- chées qui lui seront utiles. Il est également équipé de deux tours qui lui permettent si nécessaire de réaliser une roue complète. Il dispose également d’une vaste bibliothèque d’ouvrages spécia- lisés quand il a besoin d’un plan précis ou d’une aide technique. “Internet n’a pas la réponse à tout” , plaisante-t-il. François Boinay regrette que la passion du geste, du travail et des outils ne soit pas assez mise en valeur. Il ajoute : “J’aimerais beaucoup pouvoir for- mer des jeunes. Notre rôle, c’est la transmission de la passion, du savoir, des connaissances, de l’ex- périence, des techniques et astuces.” n Ph.D.

N on, il ne s’agit pas d’une coquille. L’orthographe “orlogeur” est attestée dans un document de 1395. Il s’agissait alors d’un artisan en charge de l’entretien et de la réparation des beffrois des villes du nord de la France alors fla- mandes. On retrouve la trace de ce nom en Franche-Comté dans les années 1600. L’orlogeur passait de ferme en ferme pour réparer, entretenir et régler l’horloge fami-

exercé jusqu’en 2018. “Mon grand- père était horloger et mon père aussi. Ce dernier a exercé jusqu’à 92 ans” , précise-t-il. Sa route était tracée : “J’ai repris un métier de passion, la réparation d’horloges et de pendules.” Il constate : “On ne compte pas ses heures, sinon il serait impossible de facturer le coût réel d’une réparation.” Il y a peu de professionnels spé- cialisés dans ce domaine et le bouche-à-oreille fonctionnant, son

liale qui était un véri- table objet de luxe transmis de génération en génération. Acces- soirement, il améliorait l’ordinaire avec la contrebande de pièces

activité prend de l’am- pleur. “Aujourd’hui, la plupart des objets sont “foutus” en peu de temps alors que dans l’horlo- gerie ancienne, un peu d’huile, quelques heures

“J’aimerais beaucoup pouvoir former des jeunes à mon métier.”

d’horlogerie et d’objets divers. François Boinay formé à la micro- mécanique a travaillé quelques années en Suisse jusqu’au milieu des années 1970 quand la légis- lation de préférence nationale a fait perdre leur emploi à de nom- breux frontaliers. Sa reconversion dans les métiers de la nature et de l’animation lui a ouvert la direc- tion d’un centre nature ou il a

de travail et un bon savoir-faire redonnent vie à des objets de valeur.” Il poursuit : “C’est une émotion virale d’ouvrir une hor- loge. Tous les sens sont en éveil.” En désignant une pendule de notaire, il se plaît à imaginer tous les secrets de famille dont cet objet fut le témoin. Parfois en ouvrant une pendule, il a la satis- faction d’y découvrir la signature

François Boinay et une horloge des Frères Maillet.

S on histoire profession- nelle personnelle remonte à 1968, année où titulaire de son C.A.P. d’horloger-rhabilleur, il rejoint la société de son pèreAlire Patois à Frambouhans. Mais l’histoire familiale a des racines plus anciennes. Bruno Patois explique : “Ma grand-mère était une excellente tricoteuse et après la première guerre mondiale, mon grand-père fit l’acquisition de machines modernes en Alle- magne et créa une usine de bon- neterie à Frambouhans.” Pour jamais où on va” , poursuit-il. “Un jour, dit-il, on m’a ramené un carton avec un amoncellement de pièces détachées. Il s’agissait de plusieurs montres qui avaient été démontées par un horloger- bijoutier que je ne dénoncerai pas et qui était incapable de les remonter et donc de les réparer.” Il regrette également que les grands groupes suisses verrouil- lent complètement le marché des fournitures. Il précise : “Une montre de marque suisse haut de gamme aujourd’hui ne peut être réparée que par le S.A.V. de l’usine qui l’a produite et il faut débourser jusqu’à 1 000 euros pour la récupérer en ordre de marche.” Il reste passionné par son métier : “Je travaille en ce moment sur une montre à musique exceptionnelle.” Mais il reste dubitatif quant à la trans- mission de son savoir : “Je ressens un manque de motivation chez les jeunes en formation aujourd’hui qui préfèrent aller monnayer leur formation en Suisse.” n Ph.D. Bruno Patois le témoin des mutations horlogères Frambouhans Âgé de 69 ans et toujours actif dans la réparation de pièces anciennes, Bruno Patois a suivi toute l’évolution d’une industrie qui a rythmé la vie du plateau de Maîche. “Il y a beaucoup de montres à restaurer en France.” Bruno Patois avec une montre ancienne “ à coq”. la petite histoire, l’en- seigne sur le bâtiment est toujours visible. Après la deuxième guerremondiale, la bon- neterie ne résista pas aux productions étran- gères et Alire Patois se recon- vertit dans l’horlogerie (assor- timents et montres). La fin des années 1970 sonnait le glas de nombreuses entreprises horlo- gères du secteur. Bruno Patois se souvient : “Nous nous sommes alors tournés vers le rhabillage mais cette activité n’était pas régulière. C’est à cette époque que je me suis intéressé à la répara- tion de montres anciennes.” Il ajoute : “C’est en parfait autodi- dacte que je me suis initié aux montres “à coq”, complications, sonnerie et musique, ainsi qu’aux régulateurs de marine…” Aujourd’hui, il exerce en indé- pendant et a étendu ses compé- tences sur le gros volume. “La clientèle âgée est toujours plus attachée à ses objets du quotidien et je répare pas mal de pendules comtoises” poursuit-il. Il avoue avoir d’autres activités artisanales que l’horlo- gerie qui ne suffit plus à assurer son quotidien. “L’horlogerie est quand même devenue une peau de chagrin.” Bruno Patois constate : “Il y a beaucoup demontres à restaurer en France, pratiquement chaque famille en possède une.Mais tout le monde n’est pas prêt à mettre le budget nécessaire, or je ne travaille pas pour rien. Quand on ouvre une montre ancienne, on ne sait

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