Journal C'est à Dire 259 - Novembre 2019
S O C I É T É
Religion
“Il faut que l’Église s’ouvre mieux
au monde contemporain”
L’archevêque de Besançon prend part au débat sur la bioé- thique, relancé par la question de la P.M.A. pour tous actuellement en débat au Parlement. Il livre sa vision de la vie confrontée aux progrès de la technique.
C’ est à dire : Comment expliquez-vous votre opposition à la P.M.A. ouverte aux femmes seules et aux couples de femmes ? Ces dernières n’auraient pas les mêmes droits qu’un couple hétéro- sexuel ? Monseigneur Jean-Luc Bouilleret : Le fond de la question, c’est quelle société voulons-nous ? Que veut-on pri- vilégier ? La société basée sur liberté et le désir, sur la suprématie de la tech- nique, de l’économique, ou une recherche du bien commun et de la dignité de tout le reste. Le gouvernement assure que la société est prête à ce genre de progrès. Je n’en suis pas du tout sûr, au contraire. Si on en croit certains sondages d’opinion, les Français sou- haitent au contraire que le père soit présent dans le processus de l’arrivée au monde d’un enfant. Décréter dès l’origine de l’enfant que celui-ci n’aura pas de père est une décision grave que je ne peux pas partager. Lors du vote en première lecture à l’Assemblée natio- nale début octobre, j’ai été stupéfait de constater le manque d’implication des parlementaires sur cette question. Càd : Vous opposez la science à la dignité de l’être humain ? M gr J.-L.B. : Ce qui m’interroge, c’est que dans de nombreux domaines de l’évolution de la planète, en matière d’écologie, de pollution, il est fait appel au principe de précaution. Pourquoi dans le domaine de l’humain et de son origine, ce principe n’est nullement mis en exergue ? La procréation est l’acte le plus authentiquement humain d’un homme et d’une femme. Le projet de loi de bioéthique ne va-t-il pas instaurer la primauté de la science et de la tech- nique au détriment de la dignité de l’être humain et de sa venue aumonde ? On sait par exemple que pour de nom- breux enfants adoptés, le passage de l’adolescence à l’âge adulte est souvent délicat. Sans figure paternelle présente, on peut penser que pour des enfants, les conséquences peuvent tout autant être compliquées. La décision prise actuellement manque à mes yeux de prudence. De nombreuses questions se posent encore au sujet de la filiation. Le mode de filiation n’est plus basé sur la femme qui accouche mais sur la volonté des femmes concernées. Com- ment ne pouvons-nous pas entrevoir un grand danger ? Je ne suis pas de ceux qui pensent que la technique soit, a priori , systématiquement éthique. On est en train de faire en sorte que la nature n’ait plus la parole. Où seront les limites ? l’être humain ? Indépendam- ment de la technicité de la procréation se pose la ques- tion de décider a priori de l’absence du père. L’inquié- tude que je soulève est que la technique l’emporte sur
Càd : Les progrès techniques ne seraient donc pas toujours des pro- grès… M gr J.-L.B. : Prenez par exemple le numérique qui est une technique fan- tastique. Enmême temps, on commence à s’interroger sur les effets des ondes, sur l’addiction que le numérique peut provoquer, notamment chez les jeunes. Cette forme addictive peut ne pas s’ap- parenter en effet à un progrès, peut- être plus à un danger. Càd : En parlant de danger, vous évoquez aussi le risque que laP.M.A. femmes n’ouvrira pas, au nom de l’éga- lité, sur la gestation pour autrui pour les couples d’hommes ? Nous entrerons encore davantage dans la marchandi- sation du corps humain. Càd : L’Église s’était déjà vigou- reusement opposée aumariage pour tous et celui-ci semble aujourd’hui admis par tous, ou presque. On peut accuser aujourd’hui encore l’Église d’être rétrograde enmatière socié- tale ? M gr J.-L.B. : L’Église serait-elle rétro- grade, ou prophétique ?…De manière générale, l’Église est toujours là pour défendre les plus fragiles. Ici, il s’agit de l’enfant. Beaucoup de hauts respon- sables de la société nous remercient d’ailleurs pour nos prises de parole. Car ils pensent eux aussi certainement plus qu’elles sont prophétiques que rétrogrades. Càd : Dans la société, la question de la P.M.A. semble moins polé- mique que ne l’avait été cette ques- tion de mariage pour tous. Com- ment l’expliquez-vous ? M gr J.-L.B. : Sans doute parce que le citoyen français est un peu perdu aujourd’hui, qu’on est désormais dans une certaine forme d’ultralibéralisme, y compris sur les questions d’éthique et que ce qui prime avant tout, c’est la liberté. Puisque je peux faire quelque chose, alors je le fais ! Càd : Quidde la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes ? M gr J.-L.B. : La question de l’anonymat des donneurs est aussi soulevée : dans le cadre de la P.M.A. légale ou de la G.P.A. pratiquée à l’étranger, de nom- breuses personnes demandent à connaî- tre leurs géniteurs. Comment alors préserver l’anonymat du don de gamètes ? Et si un donneur est d’accord pour lever l’anonymat, des enfants auraient alors le droit de connaître leurs origines et d’autres non ? Imagi- nons aussi qu’arrivé à l’âge de 18 ans un jeune soit désireux de connaître ses glisse rapidement vers l’autorisation de la G.P.A. ? M gr J.-L.B. : Comment en effet penser que l’ouverture de la P.M.A. aux femmes seules et aux couples de
“La question de nos origines structure notre personnalité.”
Monseigneur Jean-Luc Bouilleret a également déclaré la clôture du synode qui a occupé l’Église locale durant deux ans.
du nombre de fidèles. Et si dans le futur, on ne se retrouve plus qu’avec une vingtaine de prêtres, il faudra que l’Église vive autrement, en envisageant par exemple des questions d’itinérance. Càd : Le mariage des prêtres n’est toujours pas une solution envisa- gée ? M gr J.-L.B. : Nos frères protestants, avec des pasteurs qui ont le droit de se marier, rencontrent les mêmes dif- ficultés que nous pour former de nou- veaux pasteurs. Càd : Une autre religion, l’islam, semble, elle, connaître son essor. M gr J.-L.B. : L’islam est bien sûr dans une dynamique plus forte en France car c’est une religion plus récente et nouvelle dans notre pays. Les relations ici avec nos frères musulmans sont d’ailleurs très bonnes. La béatification en 2018 des frères deTibéhirine a beau- coup marqué la communauté algé- rienne. Càd : Cette actualité chargée vous laisse-t-elle le loisir de pratiquer le trail et le vélo, vos sports de pré- dilection ? M gr J.-L.B. : Le dernier trail que j’ai fait est celui des Forts de Besançon cette année mais j’avais une ordination l’après-midi, je n’avais pas le droit de prendre beaucoup de risques…Quant au vélo, j’aime toujours autant, mais faute de temps, j’ai à peine 1 500 km au compteur cette année. Mais la pra- tique de ces sports est pour moi une question d’équilibre de vie. n Propos recueillis par J.-F.H.
nautés, que dans un village, ils se retrou- vent à 10 ou 15 personnes autour d’une question de société car il faut impéra- tivement que l’Église pérennise le dia- logue avec la société contemporaine. En somme, il faut que l’Église s’ouvre mieux au monde contemporain. Le synode a abouti à la promulgation de 13 décrets, de 14 articles et à plusieurs chantiers de réflexion à mener à plus long terme. Après ce synode, j’entame la tournée de tous les doyennés du Dio- cèse afin de mettre en pratique les orientations de ce synode. J’en ai pour trois ou quatre ans à faire le tour. Il s’agit aussi de redonner du souffle aux communautés chrétiennes de ce Dio- cèse. Je suis optimiste car il y a une jeune génération qui arrive et qui a envie de redonner du dynamisme à son Église. cesse de diminuer. M gr J.-L.B. : Non, l’époque où l’Église pensait que les laïcs allaient remplacer les prêtres est révolue, et c’est tant mieux. Sur le Diocèse, nous comptons 150 prêtres incardinés, mais une cin- quantaine seulement en activité régu- lière. Nous avons eu trois ordinations cette année, encore deux jeunes sont en études. Depuis mon arrivée, une dizaine de jeunes ont cheminé pour devenir prêtres. Même si évidemment il y a beaucoup moins de prêtres qu’avant - il y avait unmillier de prêtres dans les années soixante - il y a autant de vocations aujourd’hui en proportion Càd : Pour cela, vous ne comptez pas que sur les laïcs ? Et enmême temps, le nombre de prêtres ne
origines et qu’il découvre que ses deux parents sont du même sexe. Peut-on penser qu’il n’y aura pas de conséquence sur lui ? On sait que la question de nos origines structure notre personnalité de manière forte. Càd : Certains de vos détracteurs avancent qu’un homme d’Église n’est pas le mieux positionné pour parler de la famille et de la pater- nité. Que répondez-vous à ce genre d’arguments ? M gr J.-L.B. : Ce genre d’arguments est à mon sens un peu court… Ce n’est pas parce qu’on n’a pas l’expérience dans un domaine qu’on ne peut pas avoir la réflexion. Sinon on n’aurait le droit de parler de rien. mulgation des actes synodaux. Que faut-il retenir de cette large consul- tation ? M gr J.-L.B. : L’idée de ce synode est que tout le monde puisse donner son avis sur la façon dont l’Église doit fonc- tionner. Plus de 300 délégués synodaux ont centralisé les avis, il y a eu une vraie et belle dynamique. Càd : Cette dynamique doit aboutir à quelles décisions concrètes ? M gr J.-L.B. : Certaines choses sont très simples à mettre en place. Je souhaite par exemple qu’à court terme, les chré- tiens se réunissent en petites commu- Càd : L’autre actualité du Diocèse de Besançon, c’est la fin du long synode qui a duré deux ans et que vous avez conclu le 6 octo- bre dernier par la pro-
“À vélo, j’ai à peine 1 500 km au compteur cette année…”
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