Journal C'est à Dire 258 - Octobre 2019

L E P O R T R A I T

La patronne a encore son mot à dire Filant bon pied bon œil vers ses 102 ans, la Mortuacienne Juliette Jimenez a été la première patronne d’une entreprise de travaux publics dans la région. Depuis sa maison de retraite à Bonnétage, elle n’a rien oublié de cette vie bien remplie. Bonnétage

tête d’une entreprise de T.P. Mais au final, on m’a toujours considéré avec respect.” Après sa retraite, Juliette a longtemps mis à disposition son hangar de la Tanche aux conscrits de Morteau pour y construire leur bonhomme de Carnaval. Des générations entières de conscrits sont passées par là et lui sont toujours reconnaissantes. Durant sa longue vie de travail, Juliette Jimenez n’aura pas eu l’occasion de se marier. “Personne n’a voulu de moi… sourit-elle. Plus sérieusement, je rentrais tard le soir et je ne voulais pas non plus imposer un homme à ma maman qui vivait à la maison. Cela ne m’a pas empêché de vivre souvent au milieu d’enfants car je me suis beaucoup occupé de ceux de ma sœur. J’ai eu une vie très active” dit-elle. Ses multiples voyages à travers le monde sont là pour en attester. “J’ai presque fait le tour du monde. J’ai visité l’Amérique du Nord, l’Amérique Centrale, du Sud, l’Afrique, la Chine, etc. J’ai roulé ma bosse un peu partout. Un jour en Amérique, un homme est venu vers moi enme disant : “Vous n’êtes pas la Juliette de Mor- teau ?” À croire que c’était inscrit sur ma figure ! J’ai plein de bons souvenirs de voyage comme celui-là.” À bientôt 102 ans, Juliette Jimenez n’a rien perdu de sa vitalité. “Les yeux vont un peu moins bien mais sinon ça va à peu près” dit-elle. Il y a trois ans, elle a tout de même dû se résoudre à quitter son domicile mortuacien pour intégrer l’E.H.P.A.D. de Bonnétage où

I l lui en a fallu de la poigne et de la persévérance pour s’imposer dans un monde exclusivement masculin. Surtout à une époque, les années 50-60, où les femmes à la tête d’une entreprise, quel que soit son domaine d’activité, n’étaient pas légion. Juliette Jimenez a été de ces pionnières qui ont dépassé tous les a priori pour

Un des premiers chantiers qui a été confié à Juliette Jimenez a été la construction de la route longeant les bassins du Doubs à Villers-le-Lac. Un peu plus tard, c’est à elle aussi qu’on confie la construction de la route menant de Gilley à Arc-sous-Cicon. Une épopée. “J’avais embauché une trentaine de travailleurs venus d’Algérie.

mener demain demaître(sse) une carrière professionnelle bien remplie qui a commencé dans les années cinquante. “Mon père est mort en 1954, j’ai pris sa suite à la tête de l’entreprise de travaux publics qu’il avait créée dans les années trente. Comme mon

La route a été entièrement faite à la pelle et à la pioche. Nous n’avions pas encore d’en- gins de chantier.” La première pelle mécanique est arrivée quelques années plus tard. “C’est avec ce premier bulldo- zer Caterpillar que nous avons démoli la Maison Fourneau

En Amérique, un homme lui dit : “Vous n’êtes pas la Juliette de Morteau ?”

frère avait un handicap qui l’empêchait de prendre la suite et que ma sœur s’était mariée à un horloger, c’est à moi qu’est revenue la responsabilité de reprendre les rênes de l’entreprise. Il a fallu s’imposer dans ce milieu” dit-elle. À l’époque, les entreprises de T.P. se comptaient sur les doigts d’une main dans le Haut-Doubs. “Il y avait Vermot à Gilley, Isabey à Ville-du-Pont et Rug- geri àMorteau. Pas encore Faivre-Ram- pant que j’ai aidé ensuite à démarrer, et plus tard il m’a aidé à arrêter” se remémore la centenaire.

qui avait pris feu au centre-ville de Morteau, place de la Halle.” D’autres chantiers suivront comme la route d’ac- cès au barrage du Châtelot à Villers- le-Lac. Puis des travaux de terrasse- ment pour les particuliers. La petite entreprise de Juliette Jimenez traversera les décennies jusqu’au départ en retraite de la patronne en 1983, à l’âge de 66 ans. Une dizaine de salariés travaillaient encore dans l’entreprise installée à laTanche, entre Morteau et Les Fins. “Au départ, les gens ont pu s’étonner que je prenne la

Juliette Jimenez est née le 28 décembre 1917 à La Lizerne, “par un froid de canard” dit-elle.

elle coule des jours paisibles, faits de discussion, de parties de scrabble et de lecture. Ici, elle se sent bien. “J’espère vivre le plus longtemps en bonne santé. J’ai assez roulé ma bosse, je suis bien ici.” Et si vous lui demandez son secret de longévité, elle répondra du tac au tac : “C’est le champagne ! On en a jamais autant bu dans cette maison

de retraite depuis que j’y suis !” Les yeux rieurs, elle repart tranquillement dans sa chambre. “Mon heure viendra quand elle viendra, dit-elle. Je ne suis pas pressée…” En attendant de passer le cap des 102 ans, cette femme toujours pleine d’enthousiasme continue à savourer le temps qui passe. n J.-F.H.

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