Journal C'est à Dire 198 - Avril 2014

L A P A G E D U F R O N T A L I E R

44

Quel avenir pour les professionnels de soins frontaliers ? Santé Avec des salaires qui passent facilement du simple au double quand ce n’est pas au triple, beaucoup vont encore tenter leur chance en Suisse. Point de conjoncture.

L a Suisse manque encore de professionnels de san- té. Conséquence : elle doit toujours en recruter à

l’extérieur de ses frontières. “Sur les projections réalisées jusqu’en 2020, on constate que la demande est toujours supé-

rieure aux prévisions de forma- tion. La différence est comblée par la main-d’œuvre étrangè- re” , observe Marcel Widmer de l’observatoire suisse de la san- té. Le solde migratoire chez les pro- fessionnels de santé a toujours été positif de 2003 à 2012 tout en connaissant également de fortes fluctuations. Entre 2003 et 2005, ce solde a reculé de + 2 374 à + 916 personnes avant d’augmenter continuellement jusqu’en 2008 pour atteindre + 3 160 personnes. Depuis ce record historique, la tendance s’est stabilisée et varie entre + 1 453 et + 2 167. Ces données globales masquent de grandes différentes selon les cantons et la distance des éta- blissements de santé avec la frontière française. Le système de formation en suisse roman- de semble plus attractif. Le changement remonte à 2002 avec la décision de former les infirmières et les autres pro- fessions soignantes dans les Hautes Écoles de Santé. “Elles décrochent non plus des diplômes d’État mais des titres universitaires” , précise Jacques Chapuis le directeur de la H.E.S. la Source à Lausanne. On entre dans le système bache- lor ou licence, master et docto-

rat. Ce qui laisse la possibili- té de poursuivre ses études à haut niveau. Dans le même temps a été mise en place une formation d’Assistant(e) en Soins et Santé Communautai- re. “Ce métier offre un niveau de qualification supérieur à celui d’aide-soignante. Il est possible

on est à 80 % et nous prévoyons d’arriver à 90 % à l’automne 2014” , poursuit Jacques Cha- puis tout en reconnaissant enco- re une pénurie d’infirmières spécialisées. Les instrumen- tistes et les infirmières anes- thésistes frontalières n’ont pas trop de souci à se faire pour les années à venir. taliers varie de 10-12 % au Centre Hospitalier Universi- taire de Lausanne à 24 % à l’hôpital neuchâtelois répar- tis sur sept établissements. “On est donc contraint de recruter sur France mais aussi en Bel- gique, au Portugal. On peut tou- jours parler de pénurie notam- ment au niveau des infirmières Le facteur distance à la frontière entre aus- si en ligne de comp- te. La part des profes- sionnels de santé fron-

spécialisées. Ce n’est pas qu’une question de quotas de forma- tion mais d’attractivité. Les contraintes qui pèsent sur les infirmières spécialisées en ter- me d’astreinte, de stress ne sem- blent pas assez bien compensées sur le plan salarial” , estime Alain Christinet, directeur des ressources humaines à l’hôpital de La Chaux-de-Fonds. Côté France, on évalue à 10 % le nombre de jeunes infirmières qui partent en Suisse à la sor- tie de l’école. “Les besoins d’infirmières en France comme en Suisse sont moins critiques qu’auparavant. C’est plus pro- blématique au niveau des aides- soignantes et des puéricultrices où l’on arrive plus à satisfaire la demande” , constate Réjane Simon, la directrice de l’I.F.S.I. de Pontarlier. F.C.

d’accéder à cette filière à partir de 16 ans et de poursuivre très loin sous réserve d’obtenir maturité, bachelor, mas- ter.”

Une pénurie d’infirmières spécialisées.

Les effectifs se sont envolés grâ- ce à cette nouvelle approche. De 2002 à 2014, le nombre d’étudiants à la Haute École de la Source est passé de 250 à 700. “En se référant aux chiffres de l’observatoire, il faudrait for- mer 600 infirmières chaque année pour être autonome en Suisse romande. Aujourd’hui,

Professionnels de soins étrangers selon leur statut de séjour (Source O.B.S.A.N. 2013).

L’école horlogère suisse a l’accent français Fleurier À Fleurier, 70 % des apprenants du Centre de formation horlogère sont Français. La forma- tion, aux alentours de 3 800 euros, ne semble pas rebuter ces hommes et femmes qui n’aspirent qu’à une chose : décrocher un job de ce côté de la frontière.

“L orsque Cartier a décidé de créer une usine à Cou- vet, il y a eu un appel d’air de Français qui souhaitaient se former.” Ce constat dressé par Jean-Hugues Walther, créateur du Centre de formation horlogère basé à Fleurier dans le Val-de-Travers est sans appel. Depuis quelques années, il surfe comme d’autres sur la vague de la for- mation horlogère au point qu’il a réfléchi pour créer une école à La Cluse-et- Mijoux ou à Grand’Combe-Chateleu. Il

s’est finalement ravisé sans totalement abandonner l’idée. En Suisse, la concurrence dans ce domaine n’est pas exacerbée. “Il y a bien une école de Genève qui veut venir ici, dans le Val-de-Travers, et une école à La Chaux-de-Fonds et au Locle” détaille le formateur régulièrement interpellé pour savoir s’il vend ou non son école. “Pour le moment, c’est non. Si les gens viennent, c’est aussi à cause moi” dit- il sans prétention. Les autres institu- tions n’auraient visiblement pas le

même réseau que le C.F.H. Si l’école ne promet pas de jobs à la sortie, elle place très souvent ses élèves dans les plus grandes fabriques. Certains, passés sur les établis du C.F.H., dirigent aujour- d’hui des productions dans les grandes enseignes de la Vallée de Joux ou du Val-de-Travers. Cela a semble-t-il motivé Virginie pour suivre les cours ici : “Je viens depuis Les Verrières-de-Joux et je commence ma formation de 170 heures” dit cette Française. Idem pour Myriam, de La

Myriam, Virginie et Sokmen sont Français mais apprennent l’horlogerie au C.F.H. de Fleurier, en Suisse.

Rivière-Drugeon : “J’ai connu l’école par le bouche à oreille” dit-elle. Le respon- sable confirme : “Nous n’avons pas besoin de faire de publicité” déclare M.Walther, ancien horloger passé chez Blancpain et Rolex. Lui qui se considère comme “un autodidacte” a créé son école après la crise horlogère des années quatre- vingt-dix. “On envoyait mains même s’ils avaient des difficultés. Je voulais faire autre chose, permettre à certaines personnes de se former.” Dans son école, il y a des tests pour rentrer. Ensuite, il faut débourser 4 450 C.H.F., soit environ 3 800 euros pour 170 heures. “Le prix ne semble pas rebuter les élèves” explique le représen- n’importe qui en cours d’horlogerie et on mettait sur la touche des gens qui avaient pourtant des capacités avec leurs

tant. Son plus grand satisfecit : que ses anciens protégés lui passent un coup de fil pour donner des nouvelles de leur avenir professionnel. Avec 5,4 % de chômeurs dans le can- ton, le formateur estime qu’il y a - encore - des perspectives d’emploi mal- gré une foire de Bâle “mi-figue, mi-

raisin” dit-il. Conscient que les frontaliers choisissent l’horlogerie pour le salaire proposé (3 000 euros pour un débutant), il ne cache pas que

“Par le bouche à oreille.”

la mentalité a évolué. Point positif : les frontaliers consomment davantage en ville. Point négatif : la réussite (financière) leur monte à la tête. Jean- Hugues essaie de développer cette cul- ture suisse, entre rigueur et humilité. Pas une mince affaire. E.Ch.

Jean-Hugues Walther, le créateur de cette école qui séduit toujours plus de Français.

Made with FlippingBook flipbook maker