Journal C'est à Dire 195 - Janvier 2014

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É C O N O M I E

Banque “La Franche-Comté est une région riche de nombreuses pépites”

La directrice générale du Crédit Agricole de Franche-Comté tire le bilan de cinq années de tensions sur les marchés financiers. Malgré les crises successives, la banque régionale a maintenu le cap.

C’ est à dire : Les banques franc- comtoises ont-elles retrouvé le souri- re après cinq années de tur- bulences ? Élisabeth Eychenne : Le Cré- dit Agricole de Franche-Comté n’a jamais perdu le sourire… Pourtant en effet, nous avons vécu trois crises ces cinq der- nières années. La première est la crise économique de 2008- 2009 qui a frappé brutalement l’économie franc-comtoise. Nous avons par exemple le souvenir d’un client du côté de L’Isle-sur- le-Doubs qui a perdu 70 % de son activité quasiment du jour au lendemain. Malgré ce ralen- tissement brutal, nous n’avons pas baissé nos crédits aux entre- prises. La deuxième crise qui s’est manifestée en 2010 a été une crise des liquidités des banques dans le monde. Dans les pays anglo-saxons, on fait des crédits sur la base d’une garantie, et non pas comme en France sur la capacité de rem- boursement de l’emprunteur. Dans ces pays-là, les banques se sont mises à vendre leurs cré- dits à des investisseurs, d’où les dérives constatées. En France, on a gardé tous nos crédits dans nos bilans et on les a assurés

jusqu’au bout. Quand nos clients sont en difficulté, nous leur don- nons plus de temps, c’est une des mesures qu’on a mis en œuvre pour amortir les effets de cette crise. Sur le plan mondial, d’un seul coup, les États-Unis se sont mis à retirer tous les fonds qu’ils prêtaient à l’Europe et on s’est retrouvé sur un mar- ché moins liquide. La crise de liquidités a touché toute l’Europe. La conséquence de cette crise de liquidités est que les banques doivent couvrir leurs crédits par de la collecte et ne doivent plus C’est d’ailleurs une des directives des experts du comité de Bâle à travers le projet de réglementation “Bâle III” ? E.E. : Oui, et le problème, c’est que dans nos banques nous avons plus de crédit que d’épargne. La solution pour nous sera de collecter plus d’épargne, pas de prêter moins. Nous nous battons actuellement avec le comité de Bâle pour faire recon- naître nos crédits comme une source de richesse, les valoriser. Dans le même temps, la deman- dépendre des mar- chés à court terme. Càd :

de de crédit a été plus faible, ce qui nous donne plus de temps pour nous adapter à ces préco- nisations du comité de Bâle. Mais pour que ces nouvelles orienta- tions internationales n’aient pas trop d’incidences, il faut qu’à notre échelle toutes les sources de mobilisation de financements soient dédiées au territoire. C’est pourquoi le Crédit Agricole de Franche-Comté est plus que jamais ancré dans son territoi- re et le restera. Càd : Et la troisième crise ? E.E. : C’est la crise industrielle et écono- mique qui découle directement de la cri- se de la dette publique, laquelle a entraîné une politique d’austérité, l’augmentation des impôts, donc la diminution de la capacité de développement des entreprises. En 2008-2009, la première cri- se avait été fatale pour des entre- prises du secteur automobile qui n’ont pas pu passer le cap. Cet- te troisième crise touche plus les petites entreprises car la tra- duction la plus forte de cette période a été la fragilisation du pouvoir d’achat des particuliers, donc du commerce.

“La Franche- Comté n’a jamais joué la carte du low-cost.”

Élisabeth Eychenne, directrice générale du Crédit Agricole de Franche-Comté. À ses côtés, Philippe Maire, directeur des crédits et Daniel Parisot, directeur du développement des entreprises.

ont augmenté beaucoup plus vite que le pouvoir d’achat des ménages, c’est là l’explication. Ce ne sont pas les banquiers qui auraient fermé le robinet du cré- dit, il ne fait donc pas inverser le sujet. Càd : La preuve en chiffres ? E.E. : En 2012, nous avons accor- dé 670 millions d’euros de cré- dits immobiliers. Pour l’année 2013, ce sera 700 millions. Et on reste très présent sur la primo- accession sur laquelle nos marges de progression augmentent. Sur le prêt à taux zéro par exemple, le Crédit Agricole de Franche- Comté est à 36 % de parts de marché. Cela n’occulte pas le fait que le marché de l’immobilier est difficile car en même temps, face à l’instabilité du contexte, les promoteurs ont arrêté d’engager des projets jusqu’à aboutir à un problème d’offre. Tout cela n’a pas contribué à fai- re baisser les prix. E.E. : En 2013, il est clair que l’investissement productif n’a pas été au rendez-vous. Et ces crises arrivent à un moment par- ticulier en terme de générations des chefs d’entreprise. Il y a beau- coup de transmissions qui devraient se faire en ce moment et qui ne se font pas forcément. De manière générale, dans la plupart des secteurs d’activité, on assiste à une pause dans les investissements, un décalage dans le temps. Il y a tout de même une partie de l’économie franc-comtoise, celle tournée vers l’export, qui est tirée par la repri- se mondiale car la reprise est bien là. Et l’autre partie de l’économie, tournée vers l’intérieur, souffre d’un réel manque de visibilité et de confiance. Il ne faut pas occul- ter non plus le fait que nous entrons dans une année électo- rale qui renforce encore l’attentisme et n’est guère favo- rable aux investissements. Dans Càd : Qu’en est-il de l’investissement des entreprises franc-comtoises qu’un récent rap- port du conseil éco- nomique, social et environ- nemental de Franche-Comté prévoit en baisse pour cette année ?

les travaux publics, on arrive à la fin de quelques gros chan- tiers régionaux et les perspec- tives sont en effet plus calmes. Càd : Vous avez lancé récem- ment une campagne de com- munication pour inciter vos clients à devenir adhérentes de la coopérative Crédit Agri- cole. Quel est l’intérêt d’être sociétaire ? E.E. : Le capital du Crédit Agri- cole de Franche-Comté est déte- nu par les sociétaires à travers les parts sociales. Les 180 000 sociétaires du Crédit Agricole en Franche-Comté détiennent le capital de 45 caisses locales. Le développement du Crédit Agricole de Franche-Comté est lié à celui de l’économie franc- comtoise. L’intérêt concret de devenir sociétaire est de repré- senter les intérêts des clients. L’assemblée générale de chaque caisse locale nomme les admi- nistrateurs qui décideront de la politique de la banque dans la faction immédiat. Les sociétaires décident également de l’orientation des actions de sou- tien que la banque développe à destination du milieu associa- tif ou caritatif. C’est dans les assemblées générales que les caisses locales décident de quelles associations le Crédit Agricole soutient. Càd : Quels sont les chiffres- clés du Crédit Agricole de Franche-Comté ? E.E. : Le Crédit Agricole de Franche-Comté emploie 1 472 salariés, il compte 570 adminis- trateurs, 488 000 clients et près de 180 000 sociétaires. C’est aus- si 8,5 milliards d’euros de cré- dits accordés, 1 milliard d’euros de fonds propres. Notre résul- tat annuel sera de 60 millions. Sur ce bénéfice, 85 % restent dans l’entreprise et viennent renforcer nos fonds propres et nous donnent les moyens d’investir. Les 15 % restants rémunèrent les parts sociales. Nos sociétaires touchent 2,25 % sur le capital placé. Propos recueillis par J.-F.H. région. Et ces assemblées géné- rales sont un ther- momètre client extraordinaire, un aiguillon de satis-

Càd : Les particuliers ont par- fois atteint leurs limites bud- gétaires ? E.E. : Oui, il y a une part de nos clients qui commencent à connaître des difficultés. C’est une partie minoritaire des ménages. En début d’année 2013, 2,48 % des ménages qui ont un crédit chez nous avaient des dif- ficultés pour le rembourser. Cet- te part est passée à 2,57 % en fin d’année. Même si cette aug- mentation est relativement faible, nous devons y être très attentifs. La pression sur le pou- voir d’achat des ménages est réelle. Pour le reste, 15 % de nos clients font face mais connais- sent une situation plus tendue qui ne leur permet plus d’avoir la consommation qu’ils avaient avant. Càd : Dans toutes ces crises, y a-t-il une spécificité franc- comtoise ? E.E. : La Franche-Comté est un peu anticyclique par rapport aux autres régions. Comme elle est très industrielle, elle a été la première à être touchée. Mais c’est une région qui rebondit très vite car ses entreprises ont une étonnante capacité d’adaptation, c’est un tissu de P.M.E. plus souples, plus agiles et plus expor- tatrices. C’est ce qui nous rend optimistes. Il ne faut pas nier les difficultés mais notre rôle est de capitaliser sur ces forces locales pour recréer la dyna- mique. La Franche-Comté est une vraie terre de pépites car les filières franc-comtoises ont su jouer la qualité. La Franche- Comté n’a jamais joué la carte du low-cost et c’est tant mieux. C àd : On a souvent accusé les banques de serrer la vis en termes de prêts immobiliers par exemple. Vous confirmez cette évolution ? E.E. : Depuis la survenue des différentes crises, nous n’avons jamais changé de politique en matière d’emprunt. Nous n’avons qu’un seul regard : c’est la capa- cité de nos clients à rembourser. Le vrai problème dans cette affai- re n’est pas bancaire, c’est le coût de l’immobilier qui est devenu inaccessible pour certains et notamment pour les primo-accé- dants. Les prix de l’immobilier

“L’investissement productif n’a pas été au rendez-vous.”

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