Journal C'est à Dire 191 - Octobre 2013

L E P O R T R A I T

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Shaffik Sufira, poète de son siècle Le Mortuacien jongle avec dextérité entre sa profession d’éducateur spécialisé et sa passion pour le hip-hop. Il sort son deuxième album de rap et veut faire sortir ce style musical de la caricature qui lui colle à la peau. Morteau

Sur son dernier album, le rappeur mortuacien a notamment travaillé avec le studio Lyrics Blunt du Locle et la maison Artic Produc- tion de Lyon pour les clips.

“B esoin d’ailleurs, de revenir au naturel, de croire en mon étoile et chasser l’artificiel. Ce que j’écris te mène à moi, donc j’irai à l’essentiel. En fait je suis trop lucide pour me défai- re du réel.” Qui a dit que le rap était un style musical violent ? Le rap, le Mortuacien Shaffik Sufira en a fait un étendard, non pas pour véhiculer sa rage ou pester contre la société actuel- le, mais bien pour extérioriser ce en quoi il croit. Les paroles de ses chansons ne transpirent pas la haine, elles sont fortes sans être violentes. Lui voit plu- tôt le rap comme une forme moderne de poésie. “Le rap, c’est aussi de l’optimisme, de la joie, de l’amour, de la tolérance” note le Mortuacien de 28 ans qui sort de parents tunisiens, il a gran- di et passé son enfance à Mor- teau. Scolarité classique : collè- ge, puis lycée à Pontarlier, avant d’embrayer sur une faculté de sociologie à Besançon. Shaffik cherche sa voie. Pendant ce temps, il continue à écrire. “J’ai écrit mes premiers textes à 15- 16 ans quand j’étais au collè- ge. C’est au lycée que j’ai ren- contré un ami qui avait la même passion des mots que moi. Avec lui, j’ai monté mon premier grou- pe en 2004” relate le chanteur. Il intégrera ensuite plusieurs collectifs de musiciens et de pas- sionnés de hip-hop (rappeurs, danseurs, graffeurs, D.J.) et démarre avec eux la tournée des salles de la région (moulins de Brainans et de Pontcey, le Cylindre, etc.). “Avec eux, j’ai vraiment peaufiné les techniques d’écriture et de respiration.” Quelques années plus tard, le Mortuacien intègre avec deux comparses un groupe avec lequel il accèdera à une demi-finale d’un tremplin parrainé par le célèbre rappeur Abd al Malik. Premier clip, premières tour- nées de quelques dates en Fran- ce, en Suisse et en Belgique. Les chemins des membres du groupe se séparent ensuite et Shaffik décide de se lancer en solo dans la création et la scè- ne. La fibre éducative qui l’amènera à devenir quelques années plus tard éducateur spé- ce mois-ci son deuxième album intitulé “Besoin d’ailleurs” (voir sur you- tube “shaffik sufira besoin d’ailleurs”). Shaffik (de son vrai nom Chafik Zaghdoudi) est né

cialisé, un poste qu’il occupe dans une structure de Pontar- lier, le pousse à s’impliquer dans la transmission de son art. Plu- sieurs années durant il anime- ra à Morteau des ateliers d’écriture en lien avec les éta- blissements scolaires duVal dans le cadre du festival mortuacien “Un vent de hip-hop”. “Ce que j’ai commencé à faire à Morteau, je le poursuis aujourd’hui dans des établissements scolaires du Haut-Doubs. L’idée est de redon- ner à d’autres ce qu’on m'a appris” dit-il. En 2011, il sort son premier album, “Ma rue est vers l’art”, qui reçoit un bon accueil dans les milieux hip-hop. Puis la per- te d’un proche éloignera Shaf- fik de ses amours musicales pen- dant plusieurs mois. “Je ne res- noircit à nouveau des feuilles blanches. Le résultat sonne jus- te, le contenu de son deuxiè- me album semble promis au suc- cès. Le premier single de l’album est sorti le 23 septembre sur les plateformes de téléchargement légal. Le C.D. complet sort avant la fin du mois d’octobre. Quatre clips ont déjà été tournés, déjà vus que de 10 000 fois sur “you- tube”. “Cet album est vraiment un projet personnel. Celui de la remise en question, de la pri- se de recul.” Une forme de thé- rapie pour l’éducateur qu’il est ? Peut-être. En tout cas, entre sa passion et son métier, Shaf- fik a su créer des ponts. “La musique est un excellent support éducatif ou de médiation” esti- me l’artiste. Elle sert sans dou- te aussi à réparer quelques bleus à l’âme. Shaffik en sait certai- nement quelque chose. Le Mortuacien s’est donné une dernière mission à travers son travail de création : promouvoir la culture hip-hop en milieu rural, “et la rendre accessible à ceux qui en sont le plus éloi- gné. Ce n’est pas parce tu habites Les Gras ou Les Fins que tu n’as pas de talent. Mon projet est aus- si de déceler tous les talents qui existent ici” dit-il, comme un mis- sionnaire de la musique et des mots. Un missionnaire des temps modernes. sentais plus le besoin ni l’envie d’écrire, un pas- sage à vide.” Mais les muses de l’écriture sont tenaces. Elles rattrapent vite le rappeur mortuacien qui

“Déceler tous les talents qui existent ici.”

J.-F.H.

Prochaine sortie du journal C’est à dire 28 octobre 2013

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