Journal C'est à Dire 184 - Janvier 2013

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V A L D E M O R T E A U

Débat

“Je ne sais pas encore si je marierai les couples homosexuels” Le projet de loi sur le mariage homosexuel divise la France. Avant sa discussion au Parlement d’ici la fin du mois, la députée Annie Genevard a souhaité lancer le débat. Elle donne ses arguments contre le projet.

C’ est à dire : Êtes-vous pour ou contre ce pro- jet de loi ? Annie Genevard : Je respecte profondément les homosexuels mais je suis clairement oppo- sée à ce projet de loi. D’ailleurs, le gouvernement n’emploie plus le terme de “mariage pour tous” car il s’est aperçu que c’était une aberration sémantique. Ce qui est en cause dans ce projet de loi n’est pas la question de l’homosexualité qui est une réa- lité humaine que je n’ai pas à juger. Ce projet de loi est une vraie réforme de société et de civilisation. C’est de ce change- ment en profondeur de la socié- té et de la civilisation que je ne veux pas. Càd : Pour quelle raison ? A.G. : Parce que déjà ce projet est bâti sur une dissimulation de la vérité. On parle du maria- ge mais ce projet comporte deux volets, l’autre étant l’adoption. L’un ne va pas sans l’autre. Car le mariage ouvre, de fait, le droit à l’adoption. C’est pourquoi il est infondé de dire qu’on est pour le mariage gay et contre l’adoption. Les deux sont indis- sociables. Ma position résulte des longues semaines de

Càd : C’est donc l’adoption qui vous gêne ? A.G. : Il est clair que la plupart des pays du monde vont se fer- mer à l’adoption française. Au- delà de cela, faut-il faire une loi pour légaliser une pratique réelle qui ne concerne que quelques enfants ? On s’apprête à réformer en profondeur le code civil enmodifiant 176 occurrences de ce code, pour un tout petit nombre de personnes. Et derrière l’adoption, il y a la procréation médicalement assistée, puis la

réflexion et d’auditions qui ont eu lieu à l’Assemblée Nationa- le où on a entendu des pédo- psychiatres, des philosophes, des juristes, des religieux… Ce qui a fini de me convaincre, c’est la position de l’enfant. Quand un enfant est adopté, quelle que soit la situation, ce n’est pas tou- jours vécu dans la facilité. A cet- te difficulté-là s’ajoute une autre : l’enfant est forcément le fruit d’un homme et d’une femme et avec l’adoption on substitue à une famille génétique une autre

conséquences d’une telle loi pour l’enfant. Comment va-t-on expli- quer cela à un enfant qui cher- chera sa filiation ? On n’a pas encore mesuré toutes les consé- quences juridiques du mariage homosexuel, notamment sur la présomption de paternité. Avec cette loi, la notion de père et de mère va disparaître du code civil. Càd : Pourtant, aucun argu- ment juridique n’existe pour refuser le mariage homo- sexuel ! A.G. : Le P.A.C.S. offre déjà un certain nombre de garanties et sur les 60 000 P.A.C.S. signés en France chaque année, on s’aperçoit qu’ils sont le fait de personnes de sexes différents. Càd : En contestant ce pro- jet, n’engagez-vous pas un combat d’arrière-garde à l’image du mariage interra- cial qui était interdit aux États-Unis jusqu’en 1967 ? A.G. : Ce n’est pas le même débat. Le présupposé de l’interdiction du mariage entre les races reposait sur le fait qu’une race était soi-disant supé- rieure à une autre. Là, on ne part pas du tout du présupposé qu’un homosexuel serait infé-

famille de nature à troubler la représenta- tion psychique que l’enfant peut se faire de la famille. Bien sûr que deux homosexuels peu- vent aimer un enfant autant voire plus que deux parents de sexe

gestation pour autrui que les hommes pourront ensuite légitimement revendiquer. Un couple d’homosexuels français a désiré avoir un enfant. Ils se sont tournés vers un pays qui leur offrait la gestation pour autrui.

Annie Genevard, opposée au projet de loi, ira manifester à Paris le 13 janvier.

“L’adoption est là pour donner une famille à un enfant, pas l’inverse.”

rieur à un autre, on interroge juste sur les conséquences d’une loi qui rejoint l’essentiel de la vie sociale. Une loi qui va bou- leverser en profondeur la socié- té. Ce n’est pas du même ordre. Càd : Si la loi passe, marie- rez-vous les couples homo- sexuels en tant que maire de Morteau ? A.G. : Je ne sais pas encore. Je prends les questions les unes après les autres. En tant qu’élu local, on n’est pas là pour être des hors-la-loi, mais j’ai toujours l’espoir de faire échec à cette loi. Je m’aperçois à l’Assemblée

Nationale du grand pouvoir du législateur. Mais ce n’est pas parce qu’on peut légiférer sur tout que l’on doit légiférer sur tout. Le problème est aussi poli- tique. Dans sa campagne, Fran- çois Hollande a cherché à ral- lier tous les communautarismes : pour les étrangers, il a promis le droit de vote, pour les homo- sexuels le mariage et aujour- d’hui il se doit d’appliquer un programme électoral dont les gens n’ont pas encore mesuré toute la portée. Propos recueillis par J.-F.H.

différent, mais du point de vue de l’enfant, les choses sont loin d’être aussi simples. La repré- sentation psychique de la famil- le sera très compliquée. Le droit à l’enfant n’est pas le droit de l’enfant, il ne faut pas confondre. L’adoption est là pour donner une famille à un enfant, pas l’inverse. Dans cette affaire, on fait de l’enfant un objet alors qu’il doit être un sujet.

Les deux hommes ont choisi une porteuse d’ovule sur catalogue et une mère porteuse différente. Chacun d’eux a ainsi pu avoir un enfant. Ces deux enfants auront un père biologique, un père social et deux mères biologiques, soit quatre personnes qui sont inter- venues dans leur filiation. On aboutira à des scénarios tout sim- plement effrayants, c’est pour- quoi il faut vraiment mesurer les

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