Journal C'est à Dire 183 - Janvier 2013

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É C O N O M I E

Le président de la Chambre régionale des comptes “Il faut encourager les élus à être plus rigoureux dans la gestion” Le président de la Chambre régionale des comptes (C.R.C.) désormais regroupée entre la Bourgogne et la Franche-Comté explique les orientations de la juridiction qu’il préside et livre son analyse sur la bonne gestion des deniers publics.

Roberto Schmidt est à la tête des 64 salariés de la Chambre régionale des comptes de Bour- gogne- Franche- Comté. Il est aussi conseiller référendaire à la Cour des comptes.

C’ estàdire:Lafusiondes Chambres régionales des comptes de Bour- gogne et de Franche-Comté et leur regroupement à Dijon avait suscité une vague d’émoi il y a un an à Besan- çon. Qu’en est-il aujourd’hui ? Roberto Schmidt : La plupart des magistrats qui étaient à Besançon ont rejoint Dijon. Cer- tains d’entre eux ont préféré par- tir dans d’autres Chambres plus grosses et assurer leur carrière. À l’exception d’une dizaine de personnes, l’effectif de Besançon a rejoint celui de Dijon. On est en train de fermer les locaux de la rue Sarrail à Besançon et nous les laisserons à l’État qui saura certainement les réaffecter. Càd : Ce rapprochement a été voulu pour des raisons d’économie. Y a-t-il eu aus- si des suppressions de postes ? Chambres réunies, nous serons 59, c’est donc 4 postes en moins et nous économisons surtout des frais de fonctionnement. Mais l’objectif de la fusion n’était pas que de faire des économies. Càd : Quel est-il alors ? R.S. : La Cour des comptes a reçu de nouvelles missions, notamment d’évaluation des poli- tiques publiques, via des com- mandes passées par le gouver- nement, le Sénat ou l’Assemblée Nationale. Les regroupements de Chambres vont justement permettre de mettre à disposi- tion de ces travaux d’évaluation du personnel qui vient des Chambres régionales des comptes. Il y a désormais une plus grande porosité entre la Cour et les Chambre régionales. Exemple récent de ces nouveaux travaux demandés aux Chambres : l’évaluation des poli- tiques d’aide à la création d’entreprise. On a mis en pla- ce des formations inter-juri- R.S. : La Chambre de Dijon employait 38 personnes, celle de Besançon 25, soit 63 au total. Les deux

dictions pour délibérer sur ces sujets-là. Je participe à cette commande de l’Assemblée Natio- nale, ce premier rapport d’évaluation est sur le point d’être publié. Càd : Le fait que la Chambre régionale ait désormais son siège à Dijon met-il “à l’abri” des contrôles les petites com- munes éloignées de ce centre, dans le Haut-Doubs par exemple ? R.B. : Il est clair qu’avec le regroupement, le programme des Chambres régionales sera modifié. On peut dire qu’il y aura une moins grande régularité dans les contrôles et on sera obli- gé de privilégier des critères sur des analyses de risques préa- lables. Mais le recours à ce “juge de paix” que sont les Chambres des comptes aura toujours lieu. de détection est bien fait et ce, autant en Bourgogne qu’en Franche-Comté. On passera jus- te d’un critère plus mécanique à un caractère plus sélectif des collectivités ou organismes contrôlés. Je m’efforce d’améliorer la programmation pour com- penser l’éloignement géogra- phique. La Franche-Comté ne sera pas oubliée dans nos mis- sions, c’est certain. Et grâce à la fusion, les équipes de contrô- le seront plus performantes qu’un magistrat seul dans son coin avec sa petite sacoche. Càd : Que comprendra le pro- gramme de la Chambre en 2013 ? R.S. : Il est en préparation. Je peux dire qu’il comprendra nécessairement le contrôle des grandes collectivités qui n’ont pas été contrôlées depuis de nom- breuses années, tant en Bour- gogne qu’en Franche-Comté. Nous contrôlerons aussi des plus petites collectivités sur lesquelles Le nombre des obser- vations sera en bais- se mais le président de la C.R.C. est bien décidé de faire le tra- vail partout quand un travail de repérage ou

des risques de dérive dans la gestion ont été détectés. L’idée générale est aussi de veiller à une surveillance générale sur la progression de l’endettement des collectivités locales. Càd : L’endettement est-il donc le grand risque que cou- rent nos collectivités, à l’instar de l’État ? R.S. : Nous évaluons l’endettement mais surtout la qualité de cet endettement. Il faut que les collectivités com- prennent qu’elles s’engagent à rembourser non seulement un capital mais aussi des intérêts, ce n’est pas toujours évident. Certaines se sont engagées dans des emprunts complexes, il faut désormais que les communes par exemple comprennent que les formules complexes ne sont pas du tout adaptées. Quand sur un emprunt structuré, comme ceux basés sur le franc suisse, on a des facteurs multiplicateurs de 5 à 10, ça peut vite faire explo- ser les taux. Il y a désormais une charte des bonnes conduites signée par les banques qui s’engagent à ne plus distribuer ce genre de produits. En Fran- ce, plus de 12 milliards d’euros sont composés de ces emprunts risqués. Un maire peut se retrou- ver avec des intérêts qui dou- blent quand un taux passe de 3 à 7 %. C’est très dangereux. Càd : Vous enjoignez donc les collectivités locales à maî- triser leurs dépenses. Com- ment le peuvent-elles alors que les besoins vont crois- sants ? R.S. : Il s’agit d’abord de maî- triser les dépenses de person- nel. Certes il y a eu des trans- ferts de l’État qui ont nécessité des embauches de personnel, mais il faut arriver à faire com- prendre aux collectivités locales qu’elles maîtrisent mieux leurs effectifs propres. Comment maî- triser les dépenses de person- nel ? C’est par exemple en n’augmentant pas tout le mon- de avec le maximum d’ancienneté.

Càd : C’est-à-dire ? R.S. : La carrière d’un fonc- tionnaire territorial est ponc- tuée d’avancements, avec une durée d’échelon plus ou moins longue. Mais pour ne froisser personne, les collectivités ont pris l’habitude d’avancer tout le monde à la cadence accélérée si bien que les fonctionnaires arri- vent au top de leur carrière beau- coup plus vite. C’est une pra- tique quasi-généralisée qui finit par coûter très cher. Pour rete- nir son fonctionnaire, le maire pratique donc ainsi parce que dans la ville voisine on fait pareil. C’est l’effet tâche d’huile et la conséquence indirecte de l’émiettement des collectivités. C’est ce qu’on appelle l’échelle de perroquet. Il faut aussi que les collectivi- tés réfléchissent à tous les ser- vices qu’elles mettent en pla- ce, ou encore à ne pas systé- matiquement répondre favo- rablement à toutes les demandes. Enfin bien évaluer leurs frais de fonctionnement. Càd : Vous pensez notamment à de grands chantiers com- me le tramway ? R.S. : Pas forcément. Je pense d’abord à des immobilisations du genre salle des fêtes ou gym- nase. Quand ces équipements ne sont pas utilisés, ils coûtent quand même. Pour la question des tramways, Dijon et Besan- çon n’ont pas eu la même démarche. Dijon a un tram de 440 millions, financé en partie par du partenariat public-privé (P.P.P.), tandis que Besançon a surtout misé sur la taxe ver- sement transport. Ce genre de sujet fera certainement l’objet d’une évaluation par la Chambre des comptes un jour.

elles menacées de ruine ? R.S. : La plupart d’entre elles sont dans une situation finan- cière globalement équilibrée car il existe une notion fondamen- tale : l’équilibre réel du budget qui interdit de financer des dépenses de fonctionnement en ayant recours à l’emprunt, qui ne doit servir qu’aux dépenses

rante de leur budget. Càd : Pour autant, les Chambres des comptes n’ont pas le pouvoir de sanction- ner les élus locaux ? R.S. : Ce sont les citoyens qui peuvent les sanctionner dans les urnes. Les Chambres jugent les comptes publics et peuvent engager la responsabilité des

d’investissement. C’est vraiment une règle à protéger coûte que coû- te. C’est en quelque sor- te la règle d’or des col- lectivités locales.

comptables publics, des inspecteurs du Trésor. Il y a une vingtaine de cas par an. Quand par exemple on paie une

“La priorité actuelle : maîtriser les dépenses.”

prime à fonctionnaire au-delà de ce qui avait été prévu dans la délibération d’un conseil muni- cipal, c’est au comptable public d’y répondre. C’est toujours l’État qui tient les caisses des collec- tivités locales. Cela montre aus- si que la décentralisation n’est pas encore allée jusqu’au bout. Càd : Votre avis sur le mil- lefeuille administratif qui caractérise notre pays ? R.S. : Il faut bien sûr le sim- plifier et ça viendra quand les gens seront mûrs et y seront prêts. La priorité actuelle est de dire aux élus qu’ils peuvent déjà améliorer leur gestion, maîtri- ser leurs dépenses et encadrer leurs emprunts. Il y a encore des économies à faire dans les col- lectivités locales. La maîtrise de la dépense publique sera le grand combat des trois années qui viennent. Car la fiscalité ne pourra pas toujours augmenter : il faut que l’augmentation de la fiscalité soit en rapport avec la capacité contributive du citoyen. Quand un salaire aug- mente de 2 %, il ne faut pas que les impôts augmentent plus que 2. C’est juste une question de bon sens et le bon sens, on n’en a jamais assez. Propos recueillis par J.-F.H.

Càd : Il est plutôt sain d’investir quand on est une collectivité, non ? R.S. : L’investissement peut aus- si se révéler sournois car il gèle une part de la capacité d’action d’une collectivité. Et il peut être sournois car lui-même engen- drer des dépenses de fonction- nement. C’est pourquoi il est à manier avec précaution. On n’emprunte pas sur cinquante ans un équipement qui sera obso- lète dans trente ans. C’est com- me si un particulier faisait un emprunt de vingt ans pour finan- cer sa voiture. Càd : Combien de collecti- vités qui ne votent pas leur budget en équilibre sont exa- minées par la Chambre des comptes ? R.S. : Entre 30 et 40 par an pour nos deux régions sont concernés par une saisine de la Chambre par le préfet et la Chambre doit rétablir l’équilibre des comptes. Un exemple connu a été celui de Luxeuil-les-Bains dans les années quatre-vingt-dix et qui a traîné ce boulet sur vingt ans. Luxeuil a été un “petit Angou- lême”. C’est pourquoi il faut encourager les élus à être plus rigoureux dans la gestion cou-

“Les collectivités ont pris l’habitude d’avancer tout le monde.”

Càd : Les collectivités sont-

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