Journal C'est à Dire 183 - Janvier 2013

P L A T E A U D E M A Î C H E

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Le Russey Incendie au Russey : la compagne témoigne Depuis qu’il a incendié

C hantal Parent craignait de revenir dans la zone commerciale du Russey depuis ce dimanche 28 octobre. Un moment doulou- reux. C’est en effet ce jour-là que sa vie a basculé avec celle de sa famille. Dans la nuit de samedi à dimanche, Frédéric Jobin - avec qui elle vit depuis 25 ans - met le feu à son atelier de répa- ration de véhicules et de moto- culture “JFMécatech”. Quelques minutes plus tard,il prend la direc- tion de son habitation située à Bonnétage pour en faire demême. La ferme s’embrase en quelques minutes. Par chance, Chantal, son magasin situé au Rus- sey puis sa maison à Bon- nétage, Frédéric Jobin n’a plus donné signe de vie. Les recherches s’avèrent infructueuses. Chantal Parent, sa compagne depuis 25 ans et ses deux enfants, ont tout perdu. Elle se confie pour remer- cier la solidarité des habi- tants et couper court aux rumeurs.

Charline (17 ans) et Benjamin (10 ans) les deux enfants, ne sont pas là. Un mois après, personne n’a de trace de Frédéric. Pour la première fois depuis cet- te tragédie, Chantal, encore sous le coup de l’émotion, répond à notre invitation. Entretien autour d’un thé à la cafétéria du Super U du Russey. C’est à dire : Un mois après ce drame, savez-vous où se trouve votre compagnon ou s’il est encore en vie ? Chantal Parent : Ni l’un ni l’autre. Mardi 27 octobre, des experts de la gendarmerie sont venus avec des chiens pour ten- ter de trouver des indices dans les débris. Des prélèvements ont été faits mais nous ne connais- sons pas encore les résultats. Le retrouver serait un soulagement car nous pourrions faire le deuil… Toutes les recherches que nous avons pu mener n’ont rien donné Càd : Expliquez-vous ce ges- te ? C.P. : Non. Les personnes qui connaissaient bien Frédéric savaient qu’il était malade : il avait deux personnalités. Depuis

le déménagement au Russey, il regrettait d’être venu ici. Il se mettait beaucoup de pression, tout était source de problèmes, car Frédéric avait le goût du tra- vail bien fait, c’était un perfec- tionniste, c’est d’ailleurs avec cet atout que son entreprise s’est développée. J’ai bien essayé de le dissuader d’agrandir, de dépla- cer l’activité sur Le Russey, mais il voyait ceci comme une évo- lution qui lui apporte- rait plus de satisfac- tion. Tout marchait bien mais c’était beaucoup de pression et tout était devenu difficile à gérer pour lui, les soucis de son entre- prise ne le quittaient pas. Càd : Au fond de vous, a-t-il a pu quitter le pays, recom- mencer une vie ailleurs ? C.P. : On se fait des films mais on ne le pense pas vivant. C’est dur à dire… mais il n’a pas pu partir, il ne peut pas vivre serei- nement après son geste envers nous, et après avoir fait dispa- raître son entreprise et sa mai- son qui malgré tout représen- tait tout à ses yeux. Je ne veux pas penser cela car sinon je vivrai dans la peur et le doute

sans cesse.

Càd : En plus de cela, vous n’avez plus d’habitation pour vous loger et plus d’argent… C.P. : Oui. Et tous les comptes bancaires sont bloqués, il ne me reste plus que mon permis de conduire. Je loge chez ma famil- le. Il faut que l’on retrouve le corps pour que les assurances puissent (oui ou non) prendre le

relais. L’entreprise, elle, sera liquidée et les sala- riés licenciés. J’ai pu faire le virement des salaires du mois d’octobre aux salariés,

“Pas de difficultés financières.”

chose qui me tenait à cœur, et ce fut le dernier acte possible envers la société JF Mécatech, n’étant que salarié de celle-ci, et ne pouvant à ce jour, plus rien faire, à part la voir partir en liquidation. Càd : Heureusement, vous n’êtes pas seule. Une immen- se solidarité est d’ailleurs apparue sur le plateau avec urnes placées dans les com- merces à Maîche ou au Rus- sey en soutien. Cela réchauf- fe-t-il votre cœur ? C.P. : Je n’aurais jamais ima- giné qu’un tel élan de solidari- té puisse se mettre en place. Je ne suis à l’origine de rien. Nous avons reçu de l’argent, des habits, des messages de soli- darité. Je ne remercierai jamais assez toutes ces personnes qui ont donné, ainsi que l’énorme soutien moral de la famille et des amis. Je voudrais également remer- cier les pompiers qui sont inter- venus sur les deux sinistres, ain- si que les personnes qui les ont restaurés, c’est-à-dire mes voi- reçu des offres dʼemploi. Une autre employée a été recrutée par une société suisse partenaire de JF Mécatech. Lʼentreprise qui avait déménagé de Bonnétage au Rus- sey employait quatre mécaniciens, un magasinier et une secrétaire- comptable (la compagne du gérant). Depuis lʼincendie, les sala- riés sont au chômage technique en attendant la liquidation. Mais il faut pour le coup retrouver la tra- ce du gérant, toujours introuvable. Contactée au téléphone, la bri- gade de gendarmerie de Morteau en charge de lʼenquête mobilise une partie des enquêteurs sur cet- te affaire et dit “ne fermer aucune piste.” Des gendarmes bison- tins spécialisés dans la recherche dʼindices sont également saisis de lʼaffaire. Tous attendent les résul- tats des prélèvements. De sour- ce militaire, des morceaux de chair lors de la fouille du 28 octobre auraient été retrouvés sans savoir sʼils sont dʼorigine animale ou humaine.

sins Philippe et Maryse, ainsi que la famille Fesselet du Super U au Russey. Càd : Les gens vous soutien- nent. En revanche, vous dési- rez couper court à certaines rumeurs. Dites-nous en davantage. C.P. : L’entreprise n’avait aucu- ne difficulté financière, la conjoncture étant difficile, nous y passions énormément de temps il est vrai, mais elle augmentait son chiffre d’affaires d’année en année. Moi qui avais la charge de la gérance financière de l’entreprise, j’aimerais ne pas avoir en plus à supporter les “on- dit que”, le résultat est assez dur à accepter comme ça, sans en rajouter. Des dettes, on en avait forcément, comme toute entreprise qui se développe et qui investit. Nous étions sept salariés.

Càd : Pensez-vous que la gen- darmerie a fait son travail ? C.P. : Il y a des choses que je n’ai pas comprises. Les jours sui- vant la disparition, ce sont mes amis et mes proches qui ont par- ticipé aux recherches aux alen- tours. Les gendarmes sont res- tés quelques heures près de moi, puis sont partis poursuivre leur enquête. Lorsque les enquêteurs sont revenus fin novembre, ils n’ont pas compris pourquoi tout avait été déblayé. Les chiens n’ont pas pu bien faire leur tra- vail car d’éventuels indices ont été recouverts. Càd : Que peut-on vous sou- haiter ? C.P. : Le retrouver serait un sou- lagement pour faire le deuil. Les enfants et moi en avons besoin… Propos recueillis par E.Ch.

La société JF Mécatech (ici avant l’incendie) s’est dévelop- pée au Rus- sey, en face de Super U (photo archives Càd).

De la solidarité à l’avenir des salariés Déposées chez les commerçants du Russey et de Maîche, des urnes permettent de récolter de l’argent redistribué ensuite à la famille. Il a fal- lu parer à l’urgence. Côté salariés, six personnes se retrouvent sans emploi.

Lʼenseigne a de suite joué le jeu de la solidarité : “Ce sont des per- sonnes que nous connaissons, qui travaillaient ici. Cʼétait la moindre des choses que de mettre à dis- position cette urne” souffle Læti- tia Fesselet, directrice du Super U. Sans que lʼon dispose de chiffres, lʼurne aurait très bien fonc- tionné. Ce sont des amis et une partie de la famille qui ont eu lʼidée. Lʼassociation des commerçants du Russey a également apporté son aide à la famille comme les magasins de Maîche, allant des boulangeries aux grandes sur- faces. Des vêtements ont égale- ment été offerts alors que la com- mune de Bonnétage - où réside la famille - a apporté un soutien financier via son bureau dʼaide sociale (B.A.S.). Maigre par rapport à lʼépreuve endurée, le réconfort est toutefois bienvenu. Pour les salariés, la solidarité fonc- tionne également. Julien Tournoux, mécanicien de profession, a déjà

S ur le comptoir dʼentrée du Super U au Russey, une feuille A4 blanche est scot- chée. Sur celle-ci, des mots écrits au stylo noir appellent au don. Le message est simple mais efficace : “Suite à lʼincendie de son lieu de travail au Russey et de sa mai-

son familiale à Bonnétage, Chan- tal et ses deux enfants se retrou- vent sans rien. Ils sont recueillis par la famille et les amis. Vous aussi par un petit geste vous pou- vez contribuer à leur soutien : 1 euro offert par x personnes” peut-on lire.

Julien Tournoux, le plus ancien salarié en ancienneté, pose devant les ruines de son ex-entre- prise.

Lætitia Fesselet a joué comme les autres commerçants du Russey la carte de la solidarité en mettant à disposition une urne.

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