Journal C'est à Dire 182 - Novembre 2012

É C O N O M I E

39

Horlogerie “Ce qui a manqué jusqu’à présent, c’est la rigueur et la bonne gestion” Le nouveau président du directoire de Péquignet, Laurent Katz, s’explique sur la situation de l’entreprise horlogère mortuacienne qui sort de la procédure de redressement judi- ciaire. Il parle des projets et de la stratégie à adopter pour que cette société renoue avec la croissance. Son propos est pragmatique, réaliste, sans esbroufe.

Christian Jouillerot et toute son équipe vous souhaitent une bonne année 2011 18 €

C’ est à dire : Comme Philippe Spruch, vous faisiez partie de la direction de la société LaCie spécialisée dans la fabrication de disques durs qui appartient désormais à Seagate. Par quel chemin êtes-vous arrivés à l’entreprise Péquignet ? Laurent Katz : Par un article paru dans Le Figaro dans lequel on apprenait que la société Péquignet était en redressement ch a envoyé un mail à Didier Leibundgut. Nous sommes venus le rencontrer à Morteau. C’était au mois de mai. Càd : L’informatique et l’horlogerie sont deux mondes différents. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans cette entre- prise ? L.K. : Ce qui nous a intéressés, c’est la manufacture, française, capable de produire plusieurs milliers de montres. Péquignet a par ailleurs une culture hor- logère et une histoire à racon- ter. judiciaire. Philippe Spru- ch cherche les entre- prises qui ont un savoir- faire précis. Nous avions tous deux déjà entendu parler de cette marque horlogère. Philippe Spru-

18 €

Càd : LaCie est un exemple de succès économique. Pou- vez-vous transposer les ingré- dients de cette réussite à l’entreprise Péquignet pour qu’elle renoue avec la crois- sance ? L.K. : En fin de compte, ce qui manque à Péquignet, ce n’est ni la créativité, ni le savoir-faire. Ce qui a manqué jusqu’à pré- sent, c’est la rigueur et la bon- ne gestion que nous avions, nous, chez LaCie. C’est sur la rigueur fiable aux yeux de nos fournis- seurs, de nos distributeurs et de nos clients. C’est ce qui nous per- mettra d’être pérennes dans le temps. Un chantier de fond est en cours pour renforcer notre crédibilité. Nous avons les bases puisque le travail de création a été fait autour des modèles, le marketing est là. Il n’y a plus qu’à faire, et à faire carré. Càd : Quel est votre calen- drier d’actions ? L.K. : Le calendrier est raison- nable. Il nous faudra 24 mois pour asseoir la société. Nous tra- que je peux apporter mon savoir-faire et pas sur le côté technique du Calibre Royal à complications. Nos collaborateurs sont com- pétents pour cela. L’enjeu est d’être une entreprise

L.K. : Nous sommes exactement dans le cas qu’Apple. Je vous ferai la même réponse que Ste- ve Jobs a faite un jour à Barack Obama qui lui demandait quand l’Iphone serait produit aux États- Unis. Il lui a répondu en sub- stance que l’outil de production américain n’était pas adapté pour le faire. Nous sommes dans le même cas de figure. Péqui- gnet est une manufacture fran- çaise. Mais tout le monde sait qu’il n’y plus aucun sous-trai- tant en France capable de fabri- quer tous les composants d’un mouvement mécanique. Quand on peut faire fabriquer des pièces en France, on le fait. Les autres viennent de Suisse. Après tout, est-ce que l’on demande à Renault quelle partie de ses voi- tures est faite en France ? Non. Ce qui est important dans l’approche de la manufacture, c’est que nous ayons conçu le mouvement Calibre Royal, des- siné les plans, que nous l’ayons prototypé. Nous sommes allés jusqu’à élaborer l’outillage. Sur les 318 pièces qui composent ce mouvement, 316 sont fabriqués selon nos plans. Mais la produc- tion est faite en Suisse. Nous n’avons pas d’autre choix. En revanche, l’assemblage est fait en France. Càd : Envisagez-vous néan- moins d’intégrer, un jour, un outil de production ? L.K. : On en parle en interne, mais il y a un vrai problème de coût. Il faudrait tellement de machines pour fabriquer toutes nos pièces. À un moment don- né, il faut savoir jouer dans sa catégorie. Nous ne sommes pas le groupe Swatch. Càd : L’horlogerie est un sec- teur spécifique. Redoutez- vous une difficulté à vendre une montre mécanique Made in France, sur des marchés où règne le Swiss Made ? L.K. : Je le répète, ce mouve- ment nous l’avons conçu. Il est assemblé en France par une marque française. Dans notre prochaine campagne de commu- nication, nous allons tout miser sur le Made in France. Au contraire, nous avons un mes- sage à faire passer, une histoi- re horlogère à raconter dont les racines sont françaises. Le luxe est français ! Nous allons nous inscrire dans cette démarche. Càd : Il semble que plusieurs montres mécaniques qui intè- grent le mouvement Calibre Royal aient fait l’objet d’un retour au S.A.V. de l’entreprise. Confirmez-vous cette information ? Le mou- vement a-t-il fait l’objet de modifications techniques ? L.K. : Il y a eu des problèmes techniques qui s’expliquent. Pri- se par des échéances financières, l’entreprise Péquignet a dû com-

vaillons actuellement à l’élaboration d’une nouvelle stra- tégie de communication, à de nouveaux sites web . Une réflexion est engagée sur les marques, les nouveaux produits. On sait où on va et comment on y va. Càd : Les marques ? L.K. : Nous avons deux gammes de produits. Une gamme tra- ditionnelle qui reprend les codes très puissants de la marque Péquignet et qui a sa clientè- le. Cette gamme sera séparée des montres Péquignet Manu- facture. Début 2013, une nou- velle marque sera probablement créée pour cette gamme tradi- tionnelle. Le niveau de prix sera revu légèrement à la baisse pour se situer entre 700 et 2 000 euros. Les montres “Manu- facture” seront quant à elles ven- dues entre 5 000 et 10 000 euros. Nous voulons avancer sur ces deux pieds. Càd : Vous dites que Péqui- gnet est une manufacture horlogère. Mais vous ne fabri- quez pas les pièces du mou- vement à Morteau. Comment définissez-vous la manufac- ture résumée parfois, y com- pris en Suisse, à un concept marketing ?

55 € 8 €

“Nous ne ferons pas d’ombre à Rolex.”

55 €

Voir conditions de souscription en agence

Càd : Où en êtes-vous dans la procédure de redressement judiciaire ? L.K. : Nous venons de sortir du redressement judiciaire. J’ai reçu le 14 novembre le jugement du tribunal de commerce. Un plan a été proposé aux créanciers. La majorité d’entre eux a choisi de récupérer 40 % du montant de la créance immédiatement. Pour les autres, la dette leur sera rem- boursée à 100 % sur 10 ans. Nous allons honorer nos enga- gements. Càd : Péquignet était endet- tée. À quelle hauteur avez- vous recapitalisé l’entreprise ? L.K. : Je ne souhaite pas com- Càd : L’entreprise emploie 46 salariés. À une époque on parlait d’un poten- tiel de 500 salariés. Des emplois sont-ils prévus ain- si que des travaux pour étendre peut-être le site de Morteau ? L.K. : Non, il n’y a pas de tra- vaux prévus sachant qu’il y a déjà eu des investissements en ce sens dans le passé. Il n’y aura pas non plus dans l’immédiat de créations d’emplois. La plus grande difficulté que je découvre sur la bande frontalière est cel- le de garder son personnel face à la Suisse. Quand on parle de compétitivité, sur ce point, c’est très difficile. Malgré cette réa- lité, Péquignet a la chance de pouvoir s’appuyer sur une équi- pe soudée qui travaille dans un bon état d’esprit. Propos recueillis par T.C. muniquer le montant. Mais il est de plusieurs millions d’euros. C’était nécessaire pour conti- nuer à avancer.

mercialiser son mouvement mécanique un peu trop tôt. Mais si elle avait disposé de 8 mois supplémentaires pour apporter les ajustements nécessaires avant de lancer la commercia- lisation, les choses se seraient passées différemment. On ne peut pas nier qu’il y a eu des retours suite à un problème de fiabilité. Nous avons compris ce qui ne fonctionnait pas. Les plans ont été légèrement modifiés, on a corrigé ce qui devait l’être. Càd : Pour prendre une dimension nouvelle et peut- être accélérer sa croissance, avez-vous envisagé d’adosser l’entreprise Péquignet à un groupe de luxe ? d’ombre à Rolex ou à Patek Phi- lippe, mais nous pouvons trou- ver notre place sur le marché horloger. Càd : Verra-t-on Péquignet sur les salons horlogers en 2013 ? L.K. : Non, nous ne ferons pas de salons. L’argent sera inves- ti dans la communication et la sortie de nouveaux modèles. Càd : Péquignet était une entreprise familiale animée par Didier Leibundgut. Quel rôle joue-t-il aujourd’hui dans l’entreprise ainsi que ses deux fils ? L.K. : Didier Leibundgut s’occupe de la communication et de la représentation à l’extérieur. Ses deux fils sont directeurs com- merciaux. L.K. : Nous n’y avons pas pensé. Cela n’est pas à l’ordre du jour. Cette entreprise a les res- sources nécessaires pour percer dans son domai- ne. Nous ne ferons pas

“S’appuyer sur une équipe soudée.”

Laurent Katz : “Il n’y a plus qu’à faire, et à faire carré.”

Made with FlippingBook - Online Brochure Maker