Journal C'est à Dire 157 - Août 2010

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D O S S I E R

Samedi 19 mai 2001 Les rescapés de Goumois Piégés par la montée des eaux, huit jeunes spéléologues suisses restent bloqués dans la grotte du Bief Paroux après trois jours et trois nuits d’angoisse.

Témoignage “Tout le monde a pleuré” L’hôtel-restaurant Taillard servait des repas aux journalistes même la nuit. Maire à l’époque, Jeanne- Marie Taillard parle “d’aventure humaine extraordi- naire.” Anecdotes à la pelle.

A vecl’aventuredesspéléologues, levillagedeGoumoisafaitle tour dumonde.AuxÉtats- Unis sur les chaînes de C.N.N., au Canada,enChine,enItalie,enSuis- se,enFrancebiensûr,prèsde22télés ontparléetretransmisquasimenten direct les événements,sans compter lescoupuresdepresse. “Notre cou- sin qui était à Tokyo pour son travail a allumé la télé un soir alors qu’il n’était au courant de rien. Il m’a vu et reconnu l’hôtel. Il a tout de suite appelé croyant qu’il y avait eu un tremblement de terre” se souvient Jean-Fran- çois Taillard, le responsable de l’hôtel, littéralement pris d’assaut par environ 80 journalistes et cameramen. “On n’a pas très

bien compris cette médiatisation exceptionnelle” dit-il. Pour l’anecdote, c’est au res- taurant que l’alerte avait été donnée aux pompiers par un membre de l’expédition venu trouver un téléphone vers 20 heures “L’aventure avait mal commencé car tout le monde pen- sait que les spéléologues étaient morts. En fait, ils étaient réfu- giés dans une cavité inconnue” explique Jeanne-MarieTaillard, maire à l’époque des faits. Elle a travaillé jour et nuit sans dor- mir avec le préfet de l’époque Alain Géhin. “Il a su diriger les hommes” convient-elle. Elle ouvre une salle, prépare les sand- wiches et petits-déjeuners pour

LES FAITS : De fortes pluies combinées à un violent orage font monter rapi- dement le niveau d’eau des ruis- seaux. Huit jeunes étudiants (cinq hommes et trois femmes) venus de Zurich en Suisse s’engagent mercredi 16 mai 2001 dans le gouffre du Bief Paroux à Goumois pour une visite. La grotte n’est pas réputée diffici- le mais les aventuriers seront piégés par la brusque montée des eaux.

L’OPÉRATION : L’alerte est donnée le mercredi à 23 h 30. Près de 200 sauveteurs débar- quent, des gendarmes sont appe- lés en renfort pour mettre en pla- ce un périmètre de sécurité au niveau du gouffre qui se situe à l’entrée de Goumois. Unmât pour assurer les télécommunications est mis en place. La localisation est rapide. Les huit personnes sortent saines et sauves du gouffre le samedi 19 vers 20 h 20. À 22 h 35, les Suisses regagnent l’hôpital de Delémont pour pas- ser des examens médicaux.

Jean-François Taillard exhume le livre d’or de son hôtel où le reporter de TF1 Patrick Bourrat (mort au Koweït un peu plus tard) avait gardé d’excellents souvenirs. Il a laissé un mot touchant aux gérants.

les 200 sauveteurs. L’hôtel est lui pris d’assaut : “On servait des repas à n’importe quelle heu- re de la journée, même la nuit. Il y avait des câbles de télé par- tout.” Le restaurant Taillard a même fait la Une du journal de 20 heures sur TF1.Vient la déli- vrance avec la sortie des 8 jeunes “sortis frais comme des gardons. Tout le monde a pleuré. C’était très fort.” Puis, vient la polé- mique des coûts de l’intervention du sauvetage : “Combien coûte une vie humaine, ça aurait été terrible de les laisser mourir comme des rats !” s’emporte l’ancien édile. Si la Suisse a bien apporté une contrepartie finan- cière, c’est bien la France (État, Conseil général, mairie) qui a supporté la majeure partie des coûts. La maire a reçu entre 300 et

400 lettres de remerciements dont une est arrivée du Cana- da. Elle a reçu aussi des lettres d’injures de la part de Suisses : “Ils disaient que nous aurions dû les laisser dans le trou car ces spéléologues étaient des Suisses allemands. C’est là que l’on voit la connerie humaine !” Huit ambulances, sirènes hur- lantes, traversent le pays pour se rendre jusqu’à l’hôpital de Delémont où ont les jeunes sont examinés. “Les Suisses avaient sorti les drapeaux.” Depuis leur périple, les spé- léologues sont revenus une fois à Goumois : “Six mois après, ils sont venus nous remercier et ont donné de l’argent à la commu- ne pour qu’elle achète des jeux pour les enfants.” Après le cadeau français, le cadeau suisse. E.Ch.

1951-1958 L’affaire Paul Bobillier, maire de Maîche Condamné pour “prise d’intérêt”, le maire de Maîche reçoit le soutien de tout un pays. Soixan- te maires démissionnent pour protester contre la décision de justice. Il sera acquitté. LES FAITS: Marie Boillot offre en décembre 1951 à la commu- ne de Maîche sa demeure de Glère (Doubs), une propriété boi- sée d’environ 135 hectares. À charge pour celle-ci de construi- re un hôpital pour subvenir à ses vieux jours. Maire de Maîche et conseiller général, Paul Bobillier fait écho du legs à son conseil municipal qui refuse la donation car la vente ne couvrirait pas la construction d’un hôpital à Maîche (environ 12 millions de francs de l’époque). Le conseil ne se déplace pas à Glère pour évaluer le domaine. Paul Bobillier, alors vétérinaire, achète l’espace décrit comme un espace fait “de rochers et de taillis.” Cet achat arrange l’abbé Charles, curé de la paroisse de la Made- leine à Besançon et héritier de Marie Boillot, car il lui permet de renflouer les dettes de sa paroisse. L’abbé ne voulait pas d’une propriété mais bien d’argent. JUSTICE : En achetant le domaine alors qu’il avait été offert en donation à la Ville, le Maire (vétérinaire) est condamné par le tribunal de Montbéliard à 100 000 francs d’amende, 13 mois de prison avec sursis et l’interdiction à vie d’exercer des fonc- tions publiques pour avoir contrevenu à l’article 175 du code pénal (prise d’intérêt notamment). Il fait appel. LE CONTEXTE : les rapports avec le maire et certains de ses conseillers sont délétères. L’affaire éclate à l’approche des élec- tions. Par solidarité avec Paul Bobillier, 60 maires démission- nent dans les cantons de Maîche, du Russey, Saint-Hippolyte. 3 000 personnes manifestent contre la décision de justice devant l’Hôtel de ville. L’affaire au départ politique agite tout un pays. D’un côté, il y a les opposants prétendant qu’il a monté le coup “pour son compte” , les autres estimant qu’il a simple- ment aidé un prêtre endetté. VERDICT : Paul Bobillier sera acquitté par la Cour d’appel de Lyon après des années de procédure. Il sort blanchi des accu- sations portées contre lui et peut exercer son mandat public. “L’affaire du domaine de Glère” fut un procès rarissime et reten- tissant par son ampleur et sa durée.

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