Journal C'est à Dire 154 - Avril 2010

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S O C I A L

Le mal-être des salariés France Télécom est bien réel Reportage dans l’entreprise Comment les salariés vivent au quotidien la situation sociale qui s’est dégradée au fil des années chez France Télécom. Les tensions se sont encore renforcées suite au suicide d’un salarié bisontin qui a donné lieu à l’ouverture récente d’une information judiciaire par la justice.

Ces deux des salariés syndiqués de France Télécom dénoncent comme d’autres la dégradation des conditions de travail.

“B onjour M. X, je me présente, je suis M. Y, et je m’occuperai per- sonnellement de votre problè- me.” Dix fois, vingt fois, trente fois les mêmes phrases, débitées dans le même ordre, en suivant scrupuleusement ce que dans le jargon les opérateurs appellent “le scripte” , cette feuille de papier posée à côté de leur ordinateur et qu’ils doivent suivre à la lettre. Bienvenue dans le monde sté- réotypé du “39 00”, la plate-for- me de dépannage à distance de chez Orange-France Télécom à Besançon. Comme Philippe Tri- maille, ils sont une centaine à être membres de cette U.A.T. (comme “unité d’assistance tech- nique”) basée à Planoise. Parfois vous aurez la chance de tom- ber sur eux, mais la plupart du temps, c’est sur une plate-forme située à l’autre bout de la Fran- ce, voire au Maghreb et même à Madagascar que votre interlo- cuteur sera basé. Il répétera les mêmes phrases et le sentiment de proximité sera toujours aus- si absent… “Aujourd’hui, 80 %

Bon avait proposé à de nombreux salariés un plan de départ plu- tôt avantageux, le C.F.C. (congé de fin de carrière). Ils ont été très nombreux à profiter de ce départ à 55 ans, “30 000 à 40 000 per- sonnes” selon les syndicats, mais “sans être remplacées. France Télé- com a été un laboratoire gran- deur nature de la réforme de la fonction publique” estime Jacques Trimaille. Sur la plate-forme du “39 00”, d’appels pris, la qualité du ser- vice rendu, les solutions au pre- mier appel…” Depuis le déclen- chement de la crise chez France Télécom, on ne parlait plus “d’objectifs” à atteindre, mais “d’indicateurs.” “Depuis peu, on nous reparle à nouveau d’objectifs à travers un ce qu’ils appellent la P.I.C. performance individuelle comparée”.Tous les mois, on nous donne les chiffres faits par d’autres équipes” ajoute Jacques Trimaille. “rien n’a changé affir- me Philippe Trimaille. Toujours les mêmes pratiques des respon- sables d’équipe qui sur- veillent le nombre

de nos trafics sous-traités à des prestataires privés sont dans des plates-formes à bas coût de main- d’œuvre” déplore Jacques Tri- maille, délégué syndical territo- rial Sud. Ce sentiment de coupure et de “robotisation” est vraiment pal- pable chez ses salariés bisontins. Et le cœur du problème est vrai- ment là selon eux. “Sur la plate- forme ici, plus de 50 % du per- sonnel faisait du recouvrement à l’hôpital psychiatrique de Novil- lars pour plusieurs mois. Ce sont des méthodes de management sont déplorables” ajoute Gilbert Besson, représentant syndical au C.H.S.C.T. (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail). Selon la plupart des salariés de France Télécom dans le Doubs, la malaise remonte à “une dou- zaine d’années” , à l’époque où l’ancien P.D.G. du groupe Michel de factures. Ils ont bas- culé du jour au len- demain sur le régla- ge des problèmes Internet. Trois d’entre eux se sont retrouvés

Certains salariés des plates- formes téléphoniques dénoncent ce “management par la terreur. C’est invivable” dit l’un d’eux qui dénonce le “marquage à la culot- te des petits chefs. Et eux-mêmes subissent la même terreur de la part du N + 1” comme on dit dans le jargon interne. Au pôle technique,mêmes dérives dénoncées : “On nous a mis un indicateur de prestation de chiffre d’affaires, c’est-à-dire que l’on nous incite clairement à provo- quer des interventions qui don- neront lieu à facturations pour les clients. “Vous devez facturer” , voilà le mot d’ordre” se plaint Gil- bert Besson. Et au final, ce sont aussi les abonnés France Télé- com qui trinquent. Les mêmes constats sont dres- sés dans les agences commer- ciales : “On nous incite à vendre mais vendre à qui ? À la petite vieille qui ne saura jamais se ser- vir du téléphone qu’on l’incite à prendre ?” interroge ce salarié. De son côté, la C.G.T. estime aus-

si que “la situation de souffran- ce perdure aujourd’hui encore, il s’agit maintenant de l’éradiquer. À Orange, les cadres n’ont pas d’autonomie, il faudra leur en donner ainsi que des objectifs clairs pour faire disparaître les risques psycho-sociaux dans l’entreprise.” Le seul point positif que les sala- riés retiennent de ces derniers mois depuis le déclenchement de la “crise”, c’est que France Télé- com se met à nouveau à recru- ter du personnel : 7 embauches récentes à Besançon, 3 à Dijon. Pascal Perruche, délégué du per- sonnel à l’unité d’intervention basée rue Gay-Lussac à Besan- çon, travaillait aux côtés de Nico- las, le trentenaire qui s’est sui- cidé en août dernier à Besançon. “On se voyait tous les matins…” dit-il. Naturellement, ce drame estival n’a fait que renforcer le sentiment des salariés bisontins. “Un autre collègue de Dole s’était suicidé un samedi matin à l’issue d’un entretien avec sa hiérarchie.”

Ces deux Francs-Comtois comp- tent parmi les 35 nouveaux sala- riés à s’être suicidé entre 2008 et 2009. Pour 2010, la liste mor- bide s’est encore allongée de plus d’un suicide par mois. Depuis ces drames et l’ouverture d’une information judiciaire pour “homicide involontaire” par le procureur de la République de Besançon, les syndicats atten- dent beaucoup. Le C.H.S.C.T. de France Télécom a demandé une expertise extérieure sur la situa- tion locale et a livré ses pistes de réflexion. Aujourd’hui, à Besan- çon, on attend de pied ferme que des plans d’actions et de pré- vention précis soient mis en œuvre. La direction l’a promis pour le courant du mois de mai. Tous espèrent que le climat social changera vite au sein du groupe France Télécom. “On ne sent tou- jours pas un changement d’état d’esprit” déplorent en chœur les salariés rencontrés sur le site de Planoise. J.-F.H.

Le “marquage à la culotte des petits chefs.”

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