Journal C'est à Dire 150 - Décembre 2009

D O S S I E R

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HAUT-DOUBS : OÙ SONT NOS TRADITIONS ?

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À l’heure de la pensée collective, de la mondialisation et de la communication, le Haut-Doubs se démarque en perpétuant des traditions culinaires, sociales et festives qui font “que l’on est d’ici et pas d’ailleurs !” Tuer le cochon, “faire la goutte”, manger des sèches ou être conscrit résiste et cela n’a rien de désuet. C’est même à la mode, car réactionnaire. En revanche, la solidarité - auparavant si ancrée - semble péricliter et beaucoup de pratiques ont disparu. État des lieux à quelques jours de Noël.

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Interview Daniel Leroux : “Les traditions sont devant nous”

Ethnologue et fondateur de “La Racontotte”, Daniel Leroux estime la tradition comtoise aussi forte que la bretonne. Une dérive l’inquiète : la non-intégra- tion des nouveaux frontaliers qui ont bousculé l’organisation des villages typiques.

L e fondateur de “La Racontotte” se dévoile. Dans sa ferme com- toise de caractère installée à Mont-de-Laval où le temps semble s’être arrêté, Daniel Leroux fume tranquillement la pipe dans son bureau où des dizaines de livres sont soigneu- sement rangés sur des étagères en sapin. Ambiance reposante en trompe-l’œil pour cet homme qui vit avec son temps tout en perpétuant les traditions de nos aïeux. C’est à dire : Peut-on dire que le Haut-Doubs parvient à préserver ses traditions à l’époque de la com- munication reine et du renouvel- lement de population ? Daniel Leroux : Je pense que la Franche-Comté dans son ensemble est part de nos traditions ne perdurent plus. Nous avons eu juste une chance : celle d’avoir eu au XIX ème siècle des eth- nographes qui ont collecté les tradi- tions. Càd : Le patois comtois ne survit plus. Est-ce la plus grosse perte ? D.L. : Non, même si une tradition doit être soutenue par l’existence d’une langue. Dans “La Racontotte”, je ne fais plus d’enquête de terrain sur le patois car j’en sais aujourd’hui plus sur le Zoom Cʼest au tout début des années soixan- te-dix que Daniel Leroux décide de créer “La Racontotte”, revue tirée à environ 1 500 exemplaires tous les tri- mestres sous le principe et sous la for- me de cahiers dʼécologie rurale. Le mot “racontotte” désignait, à lʼorigine, les veillées paysannes. assez bien placée en terme de traditions. Elles sont aus- si fortes qu’en Bretagne mais je nuance mon propos car cela ne veut pas dire que nous sommes plus riches. La plu-

patois que ceux qui le parlent. Il reste seulement Henri Tournier au Russey qui le maîtrise. Que des personnes conti- nuent à le parler, c’est bien. Càd : Pouvez-vous nous énumérer les moments forts qui font que l’on est du Haut-Doubs et pas d’autre part ? D.L. : Il y a le cycle du cochon (le tuer, la façon de conserver la viande, la fabri- cation), le cycle de Noël qui est fort. Mais attention, le sapin, la crèche et le Père-Noël ne sont pas une tradition de chez nous. Tout ceci a été rapporté. Ensuite, on retrouve le cycle de car- naval, Pâques et les “Mai”, les fanfares, les conscrits, les comices… où on ne vient pas forcément s’installer. Nous avons conservé nos traditions grâce à une économie qui le permet- tait. Je pense à l’appellation d’origine contrôlée (A.O.C.). Càd : En revanche, beaucoup de spécificités ont disparu. Pourquoi ? D.L. : Si on remonte à loin, on s’aperçoit que l’arrivée du chemin de fer et d’un transfert de population a bouleversé les particularismes. Plus récemment, c’est l’apparition de la nouvelle agri- culture qui est en train de tout chan- ger. Le support des traditions était le monde paysan. Le problème est que la modernisation de l’agriculture a tué ceci. La société traditionnelle a été sup- plantée par la communication. Nous avons perdu la foire franche, la veillée, les petites fermes qui ont été avalées par les plus grandes… Càd : On dit les habitants du “Haut” solidaires de nature. Vous confir- mez ? Càd : Pourquoi arrive-t- on à conserver ce parti- cularisme ? D.L. : Car nous sommes dans un endroit assez replié et à l’écart avec un climat rude

“Ne pas être prisonnier des traditions.”

Daniel Leroux est auteur de plusieurs ouvrages sur les traditions comtoises. Le plus célèbre : “Les Racontottes d’Honorin”. Un nouvel ouvrage va sortir.

D.L. : Je vais prendre l’exemple du “Saignou”, cette personne qui venait saigner le cochon dans le village. Aujour- d’hui, il a disparu et chacun tue le cochon de son côté. On voit apparaître un nouveau phénomène plus inquié- tant et récent avec l’arrivée abondan- te de nouveaux frontaliers ces cinq der- nières années. Avant, ils étaient assi- milés. Aujourd’hui, ils ne le sont plus. C’est devenu un monde à part même si beaucoup cherchent à s’intégrer. Avec les grandes embauches et aujourd’hui les licenciements, la plupart repartent dans leur région d’origine. Pendant ce temps, nos villages ont considérable- ment été dénaturés par rapport à l’habitat. Càd : Êtes-vous inquiet pour la sau- vegarde de notre patrimoine ? D.L. : Les traditions sont devant nous,

il ne faut pas vouloir absolument les recopier. Je m’inquiète pour d’autres choses. Je pense à ces personnes qui sont arrivées dans le Haut-Doubs, qui vont y vieillir, qui seront dépendantes. Il faudra alors penser à créer des mai- sons de retraite pour assurer le sou- tien. Càd : Comment expliquez-vous que les fêtes d’antan fassent à nouveau le plein ? D.L. : Tout le monde a besoin de racines. Je suis assez surpris de voir que beau- coup de jeunes gens âgés de 25 à 35 ans s’intéressent à notre revue La Racontotte. Il y a dix ans, ce genre de public se détournait complètement du traditionnel et de l’ancien temps car ils pensaient que la tradition était ringarde. Aujourd’hui, c’est l’inverse, car c’est réactionnaire. comme notre

Racontotte. Dans notre revue, nous parlions déjà du danger de ce tout éco- nomique. On parlait déjà d’écologie. Càd : Refusez-vous le progrès ? D.L. : Pas du tout. J’ai un ordinateur, Internet… Il ne faut pas tout vouloir reproduire car sinon, on tombe dans le combat d’arrière-garde. La tradition, c’est un art de vivre en accord avec le monde mais il ne faut pas être pri- sonnier des traditions. Càd : Selon vous, quelle tradition perdue peut renaître ? D.L. : Faire le jardin. Cette activité a été sacrifiée avec l’arrivée des super- marchés. Mais ça revient fortement en ville et bientôt en campagne.

Propos recueillis par E.Ch.

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