Journal C'est à Dire 148 - Octobre 2009

É C O N O M I E

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La répression des fraudes surveille le phénomène “loto” Cet organisme de contrôle s’inquiète de la multiplication des lotos. Il redoute certaines dérives par rapport à la législation qui réglemente ce type de manifestation. Constat

Une source de recettes pour les associations Souvent dans le Haut-Doubs, les clubs sportifs organisent des lotos pour compléter leur budget. Si la formule fait toujours recette, elle souffre de la crise.

L e club de foot Morteau-Montle- bon organise 6 lotos par an dont le prochain à Villers-le-Lac le 27 novembre. “On fait cela pour faire rentrer des sous dans les caisses” rappelle le président Bruno Zaccardi. Les années de forte affluence,

L es loteries sont prohibées par la loi du 21mai 1836, à l’exception des lotos traditionnels précise le texte. “Il faut qu’ils se dérou- lent dans un but social, culturel, ou encore associatif” complète la Direc- tion de la Répression des Fraudes. Cet organisme de surveillance redou- te actuellement des dérives par rap- port au texte de loi initial. Il est inter- pellé par l’ampleur que prennent cer- tains lotos qui sortent du simple cadre restreint prévu par la législation de la simple animation de village, drainant des joueurs de tout un département (voir plus) grâce à une communica- tion efficace et des lots d’exception. Il n’existe pas de statistiques précises sur le sujet. Néanmoins, selon nos sources, en 2004 en Franche-Comté, sur trois mois, environ 1 000 lotos ont été enregistrés. Ce qui représente entre 300 000 et 400 000 joueurs ! À la même époque, dans la région de Pontarlier, une soixantaine d’associations ont orga- nisé une quarantaine de lotos pour un chiffre d’affaires dépassant les

no Zaccardi. Si on ne met plus de voi- ture à gagner, cʼest parce que la fré- quentation baisse aussi. Une voiture dans un super-loto signifie que la vitri- ne est de 15 000 euros. Il faut au moins 700 joueurs.” Les recettes étaient au rendez-vous au terme de la soirée et encou- rageaient tous les bénévoles qui avaient participé à son orga- nisation. Aujourdʼhui, il nʼest pas question pour le club de Mor- teau-Montlebon de prendre des risques inutiles dans le contexte actuel et de perdre de lʼargent à lʼissue dʼun loto. Les vitrines sont moins imposantes. Les quines du prochain super-loto seront surtout des bons dʼachat. Le club de Morteau qui avait pris lʼhabitude de confier lʼanimation des lotos à un prestataire extérieur, ce qui a un coût, a décidé de reprendre la main au moins temporairement.

500 000 euros et un bénéfice global d’un plus de 160 000 euros. Toute la difficulté pour les Fraudes est de démontrer que les principes de base de la loi ne sont pas respectés. “Nous devons vérifier par exemple que les béné- fices vont bien à l’association dans un but social. Si c’est le cas, on peut vali-

tent les amendes en cas de dérives. Ce n’est pas non plus dans l’intérêt des pouvoirs publics d’avoir la main lour- de sur les associations qui organi- sent des lotos et qui y trouvent une source de recettes. Restreindre cette liberté d’animation pourrait être inter- prété comme une volonté de nuire au

lʼassociation réussit à couvrir 10 à 20 % de ses besoins financiers grâce à ces soi- rées. “Sur un budget de 120 000 euros, oui, cʼest important.”

tissu associatif qui peine par- fois à mobiliser les bénévoles, et qui peine aussi à trouver des subventions. Malgré tout, la Répression des Fraudes veille et effectue des contrôles pour éviter que ces lotos ne devien- nent un business qui profite

der le système. Mais dès lors que l’on démontre que l’exception prévue par la loi n’est pas respectée, on tom- be dans la loterie prohibée.” Les sanctions sont lourdes, puisqu’en 2008 les peines prévues en cas d’entorse à

“Rentrer des sous dans les caisses.”

“Vérifier que les bénéfices vont bien à l’association.”

Mais depuis quelques mois, les asso- ciations font à leur tour les frais de la dégradation de la conjoncture écono- mique. Les joueurs fréquentent moins les lotos dans le Haut-Doubs, et font plus attention à leurs dépenses. Résul- tat, le monde associatif doit sʼadapter à cette nouvelle donne. “Cʼest plus ten- du actuellement comparé à ce qui se passait il y a deux ans poursuit Bru-

la règle ont été accentuées. Le risque encouru est de 2 ans d’emprisonnement et de 60 000 euros d’amende. Paradoxalement, les législateurs ont modifié la loi le 9 mars 2004 en sup- primant le montant maximal des lots fixé jusque-là à 400 euros. Cette posi- tion est ambiguë puisque d’un côté ils donnent la possibilité aux organisa- teurs de lotos de proposer des vitrines attractives et de l’autre ils augmen-

à d’autres que les associations. Une autre facette des lotos est occul- tée. Elle concerne l’addiction au jeu. Si dans les casinos les joueurs peuvent être interdits d’entrée, ce n’est pas - encore - le cas dans les lotos. Pourtant, les accros du loto existent. Jamais on ne parle d’abus de jeu dans ces mani- festations où certains où l’on se dépla- ce souvent en famille. T.C.

Les lotos deviennent une affaire de spécialistes Évolution du jeu

Zora et Jean-Marie Faust se sont spécialisés dans la préparation et l’animation de lotos. Le monde associa- tif fait appel à leur service pour garantir la réussite de leur soirée dont le but est de générer des recettes.

J ean-Marie Faust et son épouse Zora sont devenus des spécialistes de l’animation de lotos. Elle officie en salle, tandis qu’il annon- ce aumicro les numéros sortis au hasard du boulier. C’est presque comme à la télé, aussi clinquant que le Juste prix et stressant com- me le tirage du loto ! En six ans, ce couple de Gennes s’est construit une réputation de prestataires de services spécialisés dans la pré- paration de lotos auprès du mon- de associatif de la région. Un rôle que les Faust acceptent par pas- sion disent-ils. “Nous n’avons jamais démarché aucune asso- ciation. Elles sont venues vers nous” souligne Zora, une sexa- génaire piquée par le virus du jeu. La prestation clé en mains qu’ils proposent n’a plus rien s’est essoufflé selon Zora, fau- te de lots suffisamment attrayants. L’état d’esprit, plus mercantile, a changé, mais la finalité est la même : générer des recettes pour l’association. “Ce qu’on observe, c’est que les gens viennent d’abord pour la vitrine présentée dans la publi- cité, et moins pour l’association qui l’organise.” C’est l’escalade dans la nature des lots comme dernièrement à Micropolis où parmi les 80 lots on trouvait pêle-mêle une télé plasma de 127 cm, un frigo américain, un salon de cinq places, un lave-lin- ge, une caméra numérique et pour couronner le tout, une voi- ture ! C’est la cerise sur le gâteau à voir avec les lotos de campagne dont les quines provenaient de la générosité des gens et des commerçants, solli- cités par des bénévoles dévoués. Ce système-là

du “loto géant.” C’est le type même de super-vitrine, allé- chante, dont le contenu attire les joueurs par centaines. Les accros du loto de tout âge vien- nent de loin, bien au-delà des frontières départementales, pour tenter leur chance. Mieux, une partie des joueurs ne se dépla- cent que pour Jean-Marie et Zora, persuadés qu’ils ne seront pas trompés ni sur la mar- chandise, ni sur le prix des car- tons qui ne change pas d’une soirée à l’autre (de 19 à 30 euros, sauf cas exceptionnel comme à Micropolis). “Tous les anima- teurs et les préparateurs ont des clients qui les suivent” confient- ils. Les Faust jouent de leur répu- tation, voilà pourquoi ils ins- crivent leurs prénoms sur les affiches publicitaires. Ils sont fétiches. “Des clients ont leurs habitudes. Dans nos lotos, il y a toujours 80 quines. Les gens vérifient que les lots présentés sur la scène sont conformes à ceux annoncés sur l’affiche. Il faut qu’ils en aient pour leur argent. Nous sommes dans une crise, sortir et jouer fait partie du plaisir.” Des joueurs dépen- sent jusqu’à 70 euros dans la soirée. Plus ils ont de cartons sous les yeux et plus ils aug- mentent leurs chances de gagner. La préparation est devenue une affaire de spécialistes. C’est un peu comme un spectacle pour lequel il faut calculer le seuil de rentabilité avant de la pro- grammer. Les prestataires com- aux petits soins pour leurs fans. D’un loto à l’autre, le duo réserve des places à ces fidèles s’ils le demandent et des cartons de jeu qui com- portent des numéros

Des joueurs dépensent jusqu’à 70 euros.

Zora et Jean-Marie Faust animent des lotos depuis six ans.

qui se démène pour trouver les lots qui feront mouche. Elle col- labore pour cela avec un maga- sin de grande distribution qui lui fournit la majorité des lots en électroménager, T.V., Hi-Fi, bons d’achats. Chaque fois qu’elle le peut, elle fait la tournée des lotos pour y déposer des annonces sur les futures soirées qu’elle ani- mera avec Jean-Marie. La publi- cité est essentielle. “Notre tra- vail est de convaincre les joueurs occasionnels de sedéplacer. L’idée

est de générer un maximum de recettes pour l’association orga- nisatrice.” Zora et Jean-Marie souhaitent garder discret le nombre de soirées qu’ils animent chaque année. Ils interviennent pour le plaisir certes, mais pas gratuitement. Leur prestation est rémunérée sur la base d’un forfait qui figure au contrat signé avec l’association qui assume le risque moral et financier. “Ce forfait couvre toute notre pres- tation. Mais il faut préciser que

la réussite du loto ne dépend que de nous mais de l’investissement des membres de l’association” expliquent Zora et Jean-Marie. De plus en plus d’associations font appel à des prestataires extérieurs pour animer leurs lotos. De nouveaux animateurs s’engouffrent dans cet univers du jeu. Dans le nord Franche- Comté, deux micro-entreprises se seraient créées pour animer des lotos. T.C.

posent avec trois paramètres : la capacité de la salle, le prix des cartes qui est invariable et le budget de la vitrine qui peut dépasser les 15 000 euros. “Pour mettre au point un loto qui tien- ne la route, il faut au moins une salle de 300 places. Le but pre- mier est de boucler le budget, le bénéfice est imprévisible. Ce qu’on va gagner en fin de soirée est la bonne surprise” explique Jean- Marie. La préparation est presque un job à temps plein pour Zora

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