Journal C'est à Dire 141 - Février 2009

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V A L D E M O R T E A U

Claude Vermot : “J’ai toujours été un partisan de l’ordre” Villers-le-Lac L’ancien élu local, maire de Villers-le-Lac et conseiller général du canton de Morteau, a délaissé il y a cinq ans la vie publique. Aujourd’hui observateur de la vie locale, il juge, avec son expérience et la sagesse de l’âge, l’évolution des grands dossiers qui ont fait l’actualité du Haut-Doubs depuis 25 ans. Son franc-parler ne l’a pas quitté…

Claude Vermot a

animé la vie politique du canton de Morteau pendant près de 20 ans. À 81 ans, il est toujours actif sur le plan professionnel.

C’ est à dire : Vous vous êtes retiré de la vie publique en 2004. Cette vie-là vous manque-t- elle ? Claude Vermot : Pas du tout. Je suis plutôt satisfait d’être déchargé de ces choses publiques qui me prenaient énormément de temps, énormément de dis- cussions, pour peu de résultats, tant le système de décision en France est lourd. Càd : Comment analysez-vous le déclin industriel du Haut- Doubs ? C.V. : Le déclin du Haut-Doubs est à l’image du déclin écono- mique de la France dans le mon- de. À mon point de vue, ceci est dû à la mentalité française qui, discours, j’ai dit, “n’oublions pas nous allons vers une guerre éco- nomique qui sera aussi difficile que les conflits que nous avons vécus.” Hélas, cette façon de voir de la plupart des Français fait qu’on ne voit pas les enjeux éco- nomiques. On n’est pas prêt à gagner la bataille économique : c’est notamment dû au manque de dynamisme de notre admi- nistration, trop souvent dirigée par des gens bardés de diplômes mais qui n’ont pas le sens des réalités. économiquement, ne comprend pas les enjeux de la mon- dialisation. Quand je suis arrivé au pos- te de maire en 1983, dans mon premier

à vous engager dans la vie publique ? C.V. : Cette envie remonte à l’âge de 16 ans, quand j’avais un idéal : je pensais qu’en entrant dans la vie publique, on avait des chances de faire avancer les choses. Cela s’est vérifié, en partie. Càd : Que retenez-vous des deux mandats de maire que vous avez effectués à la tête de la commune de Villers-le- Lac, élu une première fois en 1983, puis réélu en 1989 ? C.V. : Ces deux mandats, je pen- se, ont été très bénéfiques pour cette commune. Je retiendrai d’abord la gestion financière de la commune. Malgré la déva- luation de ces douze années, j’avais réduit la dette de plus de 30 %. Mon objectif a été de désen- detter complètement la com- mune car j’ai toujours estimé que l’argent que l’on donnait en intérêts est de l’argent perdu. Côté investissements, je retien- drai plusieurs choses : nous avons agrandi le patrimoine com- munal de 24 hectares par l’achat de terrains qui ont été d’une importance capitale pour le déve- loppement de la commune (au Rond Buchet, sous le Cernem- bert…). Nous avons racheté l’accès au belvédère qui appar- tenait à des particuliers, rache- té de nombreuses usines à des prix dérisoires (France Ébauches, établissements Marius Angue- not, l’usine Parrenin…). Sur ces acquisitions, l’avenir nous a don- nés raison. Dans les investis-

Càd : Quels exemples avez- vous pour étayer ces propos ? C.V. : Prenons l’exemple du can- ton de Morteau. Après la guer- re, le secteur s’est développé presque uniquement grâce à des autodidactes : les Remonnay à la Fabi, Émile Cattin, René Biné- truy qui a étudié seul avant de lancer I.S.A., la famille Dubois qui a créé près de 500 emplois, Gilbert Petitjean, etc. Dans le même temps, les entreprises diri- gées par des gens qui sont bar- dés de diplômes ont disparu. Càd : Qu’est-ce qui “cloche” dans le système d’éducation français ? C.V. : Avant, on avait une Édu- cation nationale qui formait des

sements également, il y a eu aus- si l’achat de terrain pour la construction de la nouvelle usi- ne Parrenin-F.F.B., etc. Càd : Sur ce dernier dossier, comme sur d’autres, vous avez construit votre répu- tation de “franc-tireur enne- mi de l’administration” ! C.V. : Sans doute. En ce qui concerne Parrenin, j’avais don- né le permis de construire sans autorisation de la D.D.E. et de l’État. Les dirigeants anglais de Parrenin voulaient une usine dans les six mois, sinon ils par- taient en Angleterre. Or, le ter- rain n’était pas constructible. Je suis passé outre, je n’ai pas tenu compte des règlements. L’usine était couverte que la pré- fecture n’avait toujours pas don- né son feu vert. Une centaine d’emplois était à la clé, je n’avais pas d’autre choix. Autre exemple, à l’époque où le pont de la route des Microtech- niques a été construit, j’ai pen- sé qu’il était nécessaire de tra- cer un chemin de débardage pour accéder à la forêt communale. On m’a répondu qu’il fallait fai- re une étude. Un matin, j’ai pris un bulldozer, tracé le chemin. Ça a coûté à la commune 3 000 euros, en tout et pour tout.

des valeurs familiales. Si un pays ne les applique pas, il tombe en décadence. Càd : Après votre retrait du Conseil général, la tradition qui voulait que le conseiller général du canton deMorteau soit un élu de Villers, a été rompue avec l’élection d’Albert Rognon. À vos yeux, votre suc- cesseur défend-il bien les inté- rêts du canton ? C.V. : Il y a un point qui a été mal défendu à mon avis, c’est la ques- tion du pont de la Combe Geay. Tout était ficelé avant que je quit- te monmandat et j’avais une exi- gence, que le nouveau tracé sui- ve la voie ferrée pour qu’ainsi tous les virages soient coupés. Il n’a pas défendu le problème dans ce sens-là. Càd : Quel est votre sentiment sur les Pays, le Pays Horloger notamment, présidé parAnnie Genevard ? C.V. : Quand les Pays ont été créés, au milieu des années quatre-vingt-dix, j’ai été le seul au sein du District à m’y oppo- ser. J’estimais que c’était une enti- té supplémentaire qui un jour ou l’autre exigerait d’avoir une admi- nistration à elle et un finance- ment. On avait déjà trop d’échelons pour devoir en créer un nouveau. La réalité doit me donner raison parce qu’on par- le aujourd’hui de les supprimer. Càd : Votre avis sur la réfor- me des institutions ? C.V. : Entre le département et la Région, il y aurait la nécessité de supprimer un des deux échelons, c’est évident.Tout comme les can- tons et les communautés de com- munes : on doit n’en faire plus qu’une entité d’autant que leurs territoires bien souvent se confon- dent. Comme avec le dévelop- pement des communications, l’existence des sous-préfectures se justifie-t-elle encore ? Càd : Faut-il réformer le sta- tut de l’élu local ? C.V. : En France, il y a différentes corporations que l’on peut iden- tifier : les commerçants et arti- sans, la grande industrie, les sala- riés du privé, les fonctionnaires… Il faudrait que toutes ces caté- gories soient représentées pro- portionnellement à l’Assemblée Nationale à ce qu’elles repré- sentent dans la Nation. Les déci- sions prises par ces élus seraient bien différentes de ce qu’elles sont. Càd : À 81 ans passés, vous êtes toujours aussi actif ? C.V. : Malheureusement, mes forces, ma souplesse ont décliné. Mes réactions ne sont plus aus- si rapides qu’il y a 25 ans. Mais je continue à être actif, je mon- te encore sur les toits. Un hom- me qui n’agit pas est un hom- me qui décline.

Càd : Pourquoi avez-vous lais- sé les rênes de la mairie de Villers en 1995, à 67 ans ? C.V. : Ma logique a toujours été de laisser la place aux plus jeunes. Càd : En tant que conseiller général du canton de Mor- teau, vous avez remplacé Henri Cuenot en 1985, vous resterez pendant 19 ans conseiller général. Quel aura été votre principal chantier ? C.V. : En arrivant au Conseil général, mon idée principale était de désenclaver le Haut- Doubs pour favoriser son déve- loppement industriel. J’avais un cheval de bataille : les routes. C’est la raison pour laquelle j’ai présenté au Conseil général le projet de route des Microtech- niques. J’ai eu la chance d’avoir un président, Georges Gruillot, qui a saisi l’importance de ce dossier. Càd : Cette route n’a pas enrayé le déclin économique du Haut-Doubs ? C.V. : Cette route a vraiment servi au désenclavement du sec- teur, croyez-moi. Un seul exemple, pour les scieries : avant que la route existe, les camions hésitaient à venir chercher du bois dans le Haut-Doubs. On mettait 1 h 30 pour faire Villers- Besançon, il faut à peine 50 minutes aujourd’hui. Et la rou- te du Col a permis largement l’accélération des flux fronta- liers. Càd : L’épisode “sombre” de votre mandat de conseiller général a été votre exclusion du groupe majoritaire par- ce que vous aviez donné votre parrainage à Jean-Marie Le Pen pour la présidentielle de 2002. Vous revendiquez tou- jours vos affinités avec le par- ti d’extrême-droite ? C.V. : J’ai toujours été un parti- san de l’ordre. Je trouvais que Le Pen, avec le F.N., avait de bonnes idées. La meilleure preuve, c’est que Nicolas Sarkozy en a repris pas mal dans sa campagne. Quand j’ai donné ma signature à Le Pen, ça a beaucoup ennuyé mes collègues conseillers géné- raux à Besançon. Résultat, sous lamenace d’une virulente attaque du groupe socialiste, onm’a exclu du groupe majoritaire.Mais pour moi, cette exclusion n’a eu aucu- ne importance, cela ne m’a pas empêché de continuer à assumer monmandat pleinement et serei- nement. Càd : Vos idées ont pu choquer certains… C.V. : J’affirme que certaines notions qui sont entachées aujour- d’hui d’un caractère péjoratif, car liées à une époque sombre, devraient être mises en appli- cation. C’est le cas de la notion de travail, de défense de la nation,

hommes. Mainte- nant, on a une ins- truction nationale : on donne du savoir mais pas la volonté et le punch qu’il faut pour mettre ses

“La France ne comprend pas les enjeux de la mondialisation.”

qualités en valeur.

Càd : L’esprit suisse, diffé- rent du nôtre, explique donc la réussite économique de nos voisins ? C.V. : L’esprit suisse est beau- coup plus rigoureux et le sys- tème différent. Avec les charges, un salaire français revient aus- si cher qu’un salaire suisse pour- tant beaucoup plus élevé. Càd : Remontons les années. Qu’est-ce qui vous a incité

Propos recueillis par J.-F.H.

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