Journal C'est à Dire 141 - Février 2009

D O S S I E R

12

Il est prématuré de parler de crise Filière horlogère La filière horlogère suisse sort d’une période de croissance exceptionnelle avec en prime le plein- emploi. Aujourd’hui, elle prend des mesures pour passer le cap en ajustant ses effectifs.

A près plus de 15 jours de tractations avec la direction de l’usine d’horlogerie Maurice Lacroix, le syndicat Unia a pu négocier des mesures alternatives au licenciement. C’est assez rare pour le noter, surtout en Suis- se. Ainsi, la réduction volontaire du temps de travail et la retraite anticipée ont été les premières mesures avancées, permet- tant de passer de 20 à 8 licenciements. “En période de crise, il est donc possible de sau- ver des postes par la négociation. En l’occurrence, nous en avons épargné douze” , calcule Éric Bauer, qui représente le syndi- cat Unia dans le Jura. Il s’agit ici de négo- cier une diminution volontaire du temps de travail, des retraites anticipées et une tissement des ventes de montres sur les mar- chés internationaux. La manufacture hor- logère va réduire son personnel de 15 % d’ici avril 2009. Selon un communiqué, cettemesu- re concerne aussi bien le personnel de Sai- gnelégier que celui de Zurich. La casse est néanmoins limitée. “Hélas, toutes les entre- prises ne sont pas aussi transparentes que Maurice Lacroix ”, déplore Éric Bauer. Cer- taines licencient en catimini, sans avertir les partenaires sociaux, des collaborateurs en arrêt maladie ou qui ne seraient plus assez rentables. “C’est pourquoi nous visons à étendre la convention collective du travail dans de telles entreprises pour permettre aux tra- vailleurs de moins subir la crise.” E.Ch. “Nous avons épargné douze postes.” réinsertion dans un autre site. Le syndicat annonce également qu’un plan social a été obtenu. Maurice Lacroix - qui embauche près de 300 salariés dans lemon- de - explique cette mesure de licenciement par le net ralen- Swatch group. Après un exercice 2007 record, Swatch Group a vu son chiffre dʼaffaires prati- quement stagner en 2008, pénalisé par une fin dʼannée difficile et des effets de change néga- tifs. Le numéro un mondial de lʼhorlogerie se veut prudent, mais pas pessimiste pour les mois à venir. Les activités de base du groupe sont restées les principaux vecteurs de croissance en 2008 : la division montres et bijoux enregistre une hausse de 1,8 % (+ 6,6 % en monnaies locales) à 4,79 milliards de francs, tandis que la division Production progresse de 7,5 % (+ 7,7 %) à 1,81 milliard. Malgré la crise, Swatch Group table tout de même sur une légère croissance en 2009. Le chiffre dʼaffaires généré en janvier et les commandes pour mars et février confirment une amélioration constante de mois en mois, comparée à la ten- dance enregistrée en novembre et décembre 2008. Ebel, 22 postes supprimés. Au départ, le grou- pe Movado annonçait la suppression de 50 à 60 emplois sur les 260 que comptent les sites de production de La Chaux-de-Fonds (Ebel) et de Bienne (Movado et Concord). Ce nombre a pu être réduit de moitié grâce notamment à la mise en place dʼune réduction des horaires de travail, seuls 22 postes seront supprimés. Un accord social a été trouvé. Girard-Perregaux. Basé à La Chaux-de-Fonds, le groupe annonce la suppression de 22 postes. Chez Zénith , 24 emplois en moins. Maurice Lacroix. Lʼentreprise horlogère a réus- si à licencier moins que prévu. Huit départs sont annoncés. Lire par ailleurs. Richemont. Le groupe Richemont a vécu une fin dʼannée 2008 difficile. Pour le seul mois de décembre, son chiffre dʼaffaires est en recul de 12 %. Ses prévisions de croissance en mars ne sont pas bonnes, plombées par un carnet de commandes presque vide. Les entreprises dans la tourmente

P as questionpour la Conven- tion Patronale de l’Industrie Horlogère Suisse de céder au pessimisme.L’emploi du mot “crise” est même, selon cet organisme, inapproprié car exces- sif, pour décrire la situation que tra- verse la filière horlogère en cemoment. “Il est prématuré de parler ainsi. Il n’y a pas matière à peindre le diable sur la muraille” estime son secré- taire général François Matile. En effet, ce segment de l’économie hel- vétique n’est pas en perdition. Mais dans les prochains mois, quelques secousses conjoncturelles risquent de l’ébranler si les marchés ne retrou- se profile risque d’être particuliè- rement douloureuse, mais pas pour tout le monde. Nous sommes claire- ment à la fin d’une période de vaches grasses” a déclaré avant la trêve de Noël Franco Cologni, le président de la F.H.H. à l’Agefi, le quotidien Suisse de la Finance et de l’Économie. Il est évident que la crise n’a pas le même sens aujourd’hui dans l’industrie automobile française véri- tablement en péril, que dans l’horlogerie suisse qui sort d’une période de croissance exceptionnel- le. “En six ans, les effectifs sont pas- sés de 40 000 à 50 000 travailleurs. Et le chiffre d’affaires de la filière a vent pas de la fraîcheur. D’ailleurs, la Fédération de la Haute Horlogerie à Genève est plus réservée sur le contexte malgré tout préoccupant. La crise “qui

progressé dans le même temps de 10 milliards de francs suisses en 2002 à 17 milliards de francs” rap- pelle François Matile. Les marques résisteront donc de façon variable en fonction de la trésorerie dont elles disposent et des investissements qu’elles ont consentis ces dernières années. Les entreprises horlogères ne sont pas engagées dans un processus de licenciements massifs. En revanche, elles ajustent les effectifs et posi- tionnent le navire industriel pour qu’il ne chavire pas en cas de gros temps. “Nous avons arrêté le tra- vail temporaire. Les employés récu- du chômage partiel de 12 à 18 mois. “Une entreprise peu donc garder son personnel sans le licencier et sans que cela plombe sa trésorerie” précise la Convention Patronale. Mais après avoir épuisé ces mesures transitoires, qu’adviendra-t-il de ces sociétés qui sont peut-être dans l’anti-chambre de la récession ? Les oracles de l’économie n’osent plus donner un pronostic ou alors ils restent évasifs. Dans ce contexte d’attente, la plu- part des sociétés s’en tiennent à ces mesures minimales. Elles hésitent à réduire la voilure tant qu’elles n’y sont pas contraintes. Car si la météo se dégage sur les marchés, elles auront pèrent leurs heures supplé- mentaires qui ne sont donc plus payées.” Récemment, l’autorité publique helvé- tique a décidé de son côté d’allonger la durée possible

Grâce à une mesure de chômage partiel étendue, les sociétés horlogères suisses sont dans l’antichambre de la crise.

immédiatement besoin de personnel pour hisser les voiles et prendre le cap de la croissance. Ce scénario le plus optimiste pourrait se concréti- ser dans les deux ans, en tout cas pour l’industrie du luxe. Quelle que soit la nature du discours, les travailleurs frontaliers sont inquiets pour leur avenir. Car quoi qu’il en soit, quand des sociétés de prestige comme Girard Perregaux ou Ebel se séparent de collaborateurs, même s’il ne s’agit que de quelques- uns, ce n’est jamais bon signe. Là encore, François Matile tient à relativiser la situation en la met- tant en perspective avec les cinq années qui viennent de s’écouler. “Quand ils se produisent, les licen- ciements touchent entre 5 et 10 % des effectifs des sociétés. N’oublions pas que ces mêmes entreprises ont augmenté leurs effectifs de 30 à 40 % ces dernières années. La filière a

de-Fonds où les bâtiments indus- triels poussent comme des champi- gnons pour mesurer la prospérité de cette économie encrée dans le ter- ritoire. Les cantons horlogers com- me celui de Neuchâtel sortent dou- cement d’une situation de plein- emploi. La période qu’ils traversent actuel- lement est incomparable avec la cri- se des soixante et soixante-dix qui fut terrible socialement. Elle n’en porte pas les symptômes et le contex- te est différent. À l’époque, le déclin de l’horlogerie était lié à des muta- tions technologiques qui ont révo- lutionné cette industrie. La montre mécanique helvétique a vacillé face à la concurrence émergente mais terrible venue d’Asie armée du quartz. En 2009, la crise mondiale est finan- cière et jamais l’industrie horlogè- re suisse n’a été aussi à la pointe de l’innovation, elle qui a investi mas- sivement dans la recherche et le développement. Les produits sont désignés, performants, à tous les prix, le Swiss Made est un label de prestige. Problème : il n’y a pas de clients.

“La filière a connu une croissance faramineuse.”

connu une croissance fara- mineuse qui s’est traduite par des investissements considérables dans des machines, des constructions d’usines.” Il suffit de tra- verser le Locle et La Chaux-

Douze postes sauvés à Saignelégier Des solutions à la crise ? L’entreprise horlogère Maurice Lacroix qui devait licencier vingt personnes à Saignelégier a trouvé des mesures alternatives en se séparant de “seulement” de huit salariés. Pour une fois, le dialogue syndical a fonctionné.

Effet de la crise ou pas, le groupe horloger Franck Mul- ler a gelé son implantation sur la commune des Bois. 200 à 300 emplois devaient être créés. E n Suisse, le dossier Franck Muller irrite autant qu’il sus- cite encore de l’espoir. Le 31 mars dernier, le groupe horlo- ger genevois claironnait vouloir investir entre 20 et 25 mil- lions de francs suisses sur les quelque 23 000 mètres carrés de ter- rain dans le domaine de l’Orée. Ces derniers avaient été acquis en février 2006. Depuis, plus rien ne bouge. Franck Muller recule Projet remis en question aux Bois

Les contacts sont au

Le projet Portes du Jura, qui prévoit à terme la créa- tion de 200 à 300 emplois, est-il mort-né ? Selon une revue spécialisée, le groupe horloger a gelé tous ses nouveaux plans de bataille. Même le ministre de l’Économie Michel Probst a dû admettre que les contacts étaient “au point mort depuis plusieurs

point mort.

mois.” Le Gouvernement a écrit à la direction de Franck Mul- ler à la mi-janvier. Toujours pas de réponse. Du côté de la com- mune des Bois, on ne se berce plus d’illusions.

22 licenciements sur 160 Groupe Movado

L a reprise finira bien par arri- ver. Alors, est-ce pour bien- tôt ? À cette question, Benedikt Schlegel, C.E.O. du groupe hor- loger Movado qui regroupe les marques Ebel, Movado et Concord, est pris d’un léger rire nerveux avant de lâcher. “Si nous pensions à une reprise immé- diate, nous n’aurions pas annon- cé une réduction de nos effectifs si importante.” Vingt-deux personnes sur un

effectif de 160 collaborateurs à Bienne et à La Chaux-de-Fonds. Ici aussi, les négociations vont bon train pour que le coupe- ret épargne un maximum de têtes. Mais au fil des jours, la consommation des heures sup- plémentaires, des arriérés de vacances ou des horaires fluc- tuants finit par s’épuiser pour ouvrir le champ au chômage partiel puis au chômage com- plet.

Chez Maurice Lacroix à Saignelégier, on a voulu limiter la casse.

Made with FlippingBook - professional solution for displaying marketing and sales documents online