Journal C'est à Dire 125 - Septembre 2007

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A F F A I R E

UN VENDEUR DE CHALETS DE SAINT-POINT-LAC DEVANT LA JUSTICE Plusieurs victimes de la société “Demeures et villas du Canada” se sont déjà fait connaître. Ayant eu affaire à cette entreprise dont le siège est à Saint- Point-Lac, ces particuliers ont payé leur maison mais n’ont jamais été livrés. Un jugement rendu par le tribunal de grande instance a condamné le gérant, Hervé Dagna, à rembourser les sommes perçues. La plupart du temps, il s’agit de montant dépassant les 100 000 euros. La société “Demeures et villas du Canada” est spécialisée dans l’importation de chalets en kit. Son gérant est pour l’instant injoi- gnable. Poursuivi par ses créanciers, il se fait de plus en plus discret. C’est à dire révèle les dessous de ce qui pourrait être une vaste arnaque à l’immo- bilier. Depuis cette condamnation, plusieurs per- sonnes abusées se sont fait connaître, notamment sur la commune de Villers-le-Lac. Elles sont aussi en procès avec M. Dagna. Protection Aucune garantie du constructeur

La société “Demeures et villas du Canada” n’est qu’un importateur. Les clients ne sont donc pas protégés par les lois concernant la construction. Ils ne peuvent demander que la résolution du contrat de vente.

Arnaque Un vendeur de chalets du Haut-Doubs devant la justice

U ne maison à 100 000 euros, l’offre est alléchante. Surtout à une époque où les coûts de la construction s’envolent. Le prix des chalets proposés pas la socié- té “Demeures et villas du Cana- da” ne dépassent guère cette somme. Mais le véritable prix à payer pour avoir sa maison est tout autre, notamment sur le plan de l’investissement per- sonnel. Ces maisons sont basées sur le principe de l’auto- construction. Un peu comme un meuble Ikéa, l’idée est d’as- sembler soi-même sa bâtisse, ou avec l’aide d’un ou de plu- sieurs monteurs. Si l’idée est séduisante, sa mise en œuvre est une autre histoire. Dans notre région, plusieurs constructeurs basent leurs pres- tations sur ce principe : ils importent les madriers et la maison se monte ensuite com- me un Lego, par empilement et emboîtage. Les sociétés Finnest (Doubs) et Tonnaire (Jura) par exemple proposent cette pres- tation, avec du bois en prove- nance des pays scandinaves. En ce qui concerne la société “Demeures et villas du Cana- da”, elle utilise les mêmes méthodes, mais n’est pas réfé- E n matière de construc- tion immobilière, la loi prévoit depuis plus de 15 ans, une protection du consom- mateur. La loi du 19 décembre 1990 instaure en effet le contrat de construction de maison indi- viduelle (C.C.M.I.) qui présen- te tous les avantages de sécu- rité technique et financière pour le client mais aussi pour tous les intervenants. En signant un C.C.M.I., le client n’a qu’un seul interlocuteur : le constructeur. Dans le contrat, le prix de la construction est clairement défi- ni, tous les travaux indispen- sables doivent être chiffrés. Le délai de construction est fixé et tout retard dû au constructeur fait l’objet de pénalités en faveur du client. De plus, toutes sommes versées par le client avant l’ouverture du chantier font l’objet d’une garantie de remboursement au cas où le contrat ne prendrait pas effet. Par ailleurs, le client bénéfi- cie directement de l’assurance dommage-ouvrage et indirec- tement de l’ensemble des garan- ties techniques et assurances qui entourent la construction (assurance décennale et bien- nale, garantie de parfait achè-

rencée en tant que constructeur. L’A.D.I.B. Franche-Comté (asso- ciation pour le développement des industries du bois) met en garde contre cette société. “Les pratiques de cette société vont complètement à l’encontre de l’image que l’on veut véhiculer de la construction bois. Ils ne font pas les choses dans les règles de l’art” commente un des res- ponsables de l’A.D.I.B. “On n’est pas spécialement contre l’im- portation mais ce que propose la société en question n’est pas du tout conforme, en matière d’isolation par exemple.” De manière générale, l’A.D.I.B. avoue ne pas conseiller ce prin- cipe de l’auto-construction. “C’est un savoir-faire qui ne s’impro- vise pas. Tout le monde n’est pas compétent en la matière” pour- suit l’association qui tiendra un stand au prochain salon de l’ha- bitat à Besançon sur lequel il présentera toutes les techniques utilisées en construction bois. Pourtant, Hervé Dagna conti- nue de parcourir les salons pro- fessionnels : Maison Bois à Angers, Résidence Bois à Lyon… Il poursuit ses prospections, à la recherche de nouveaux clients. Sans aucun scrupule. J.-F.H. vement). Enfin, la garantie sans doute la plus importante : le client est assuré de voir sa mai- son achevée dans les délais et prix convenus grâce à la garan- tie de livraison. Les clients de la société “Demeures et villas du Cana- da” ne peuvent en aucun cas bénéficier de ces garanties puisque la société de M. Dagna n’est pas considérée comme un constructeur. M. Dagna ne fait que commercialiser en France des maisons en bois livrées en pièces détachées. Le contrat que les clients ont signé avec le ven- deur de Saint-Point-Lac s’in- titule seulement “bon de com- mande de matériaux”. Le tribunal de Melun qui a jugé l’affaire des époux Palomba n’a pu que constater “l’absence de professionnalisme du vendeur et sa lourde défaillance dans l’exécution de ses obligations.” Selon l’article 1 611 du code civil, M. Dagna a donc été condamné à restituer le prix et de payer les dommages et inté- rêts résultant des préjudices issus du défaut de délivrance. Le problème est aujourd’hui de saisir les comptes de M. Dagna.

Un négociant en chalets canadiens installé à Saint-Point-Lac a été condamné suite à une escroquerie. Après avoir encais- sé l’argent, il n’a jamais livré la marchandise à ses clients. D’autres victimes se font connaître en Franche-Comté.

payer en trois fois : 10 % à la commande, 20 % à la validation des murs et le reste au départ de la marchandise du Canada. L’idée du couple Palomba était d’installer cette maison sur un terrain dont ils sont proprié- taires. La maçonnerie était déjà prête, le gérant de la société “Demeures et villas du Canada” s’était déplacé à deux reprises

Au bout de quelques mois, le couple se résout à appeler direc- tement le fournisseur canadien. Mais ils obtiennent comme seu- le réponse que la société en ques- tion n’a jamais reçu de com- mande à leur nom. Désespéré, le couple se résigne à engager une procédure judi- ciaire contre Hervé Dagna. Le tribunal de grande instance de

T hierry et Karine Palom- ba rêvent d’une maison à ossature bois. Sur leur terrain, une construc- tion de ce type serait du plus bel effet. Ils parcourent les salons de l’habitat et du bois et tom- bent, dans les allées du salon d’Angers, sur la société “Demeures et villas du Canada”, basée à Saint-Point-Lac, vers Pontarlier. Séduits par ce concept basé sur l’auto-construction, ils décident de se lancer dans le pro-

jet. Le 16 février 2005, ils passent commande auprès de la socié- té du Haut-Doubs d’une maison en bois à livrer en kit. Le maté- riel est facturé 102 090 euros. Ce système de construction est fabriqué par un fournisseur cana- dien, la société Panexpert, basée au Québec, dont l’entreprise de Saint-Point-Lac est un des distributeurs. D’après les indi- cations du bon de commande, les acquéreurs s’engageaient à

sur ce terrain, il ne manquait plus que les pièces de bois. Le hic, c’est que le matériel n’a jamais été livré. Les infortunés

Melun, dont dépend le domicile actuel des époux Palomba, a ren- du son verdict le 17 avril dernier. Les juges ont prononcé la

Les juges ont prononcé la résiliation du contrat.

clients, qui avaient vendu leur précédent logement en atten- dant de s’installer dans leur nou- veau lieu de vie, se sont donc retrouvés avec un terrain nu, attendant désespérément l’ar- rivée de la marchandise du Cana- da. “C’est un négociant en bois, pas un constructeur. Nous avons juste acheté le matériel. C’est comme quand vous achetez un frigo, le paiement doit se faire avant la livraison” explique Kari- ne Palomba. Pendant plus d’un an, le couple et ses trois enfants ont été obli- gés de loger dans des gîtes, avant de se résoudre à acquérir une caravane dans laquelle ils ont vécu à cinq pendant plusieurs mois. Deux ans et demi après avoir passé commande, ils atten- dent toujours le matériau !

résiliation du contrat de livrai- son de matériaux de construc- tion et condamné Hervé Dagna à restituer la somme de 102 090 euros, plus 24 898 euros de dommages et intérêts. Mais à ce jour, quatre mois après le jugement, les époux Palomba n’ont pas récupéré un centime sur les 100 000 euros. Personne n’a encore réussi à coincer le ven- deur. Une enquête judiciaire a été ouverte. Hervé Dagna, lui, assure aujour- d’hui que “le couple en question sera remboursé à coup de 10 000 euros tous les mois.” Entre-temps, d’autres clients mécontents se sont fait connaître. La profession du bois en Franche- Comté se dit vigilante.

Technique Auto-construction : attention, danger La prestation proposée par la société de Saint-Point-Lac fait appel au principe de l’auto-construction. Mais mon- ter une maison n’est pas comme assembler un meuble en kit. La profession du bois met en garde.

J.-F.H.

Voilà à quoi devait ressembler le chalet du couple Palomba.

Réaction “On veut éviter qu’il fasse d’autres victimes”

C’ est à dire : Pourquoi avoir attendu autant de temps avant de saisir la justice ? Karine Palomba : Au début, naturelle- ment, nous pensions que M. Dagna était de bonne foi. Une fois il nous disait qu’il y avait un petit souci au niveau de la dimen- sion des fenêtres, une autre fois il nous fai- sait croire que la maçonnerie n’avait pas été bien faite et qu’il ne pouvait pas livrer le bois. Jusqu’au jour où nous avons com- mencé à la harceler au télé- phone. C’est à partir de ce moment-là qu’il n’a plus don- né aucune nouvelle. Au bout de quelques mois, nous avons fait la démarche de contac- ter le fournisseur canadien. Nous avons alors appris, stu- péfaits, qu’il n’y avait jamais eu de com- mande pour nous. C.à.d.: Vous vous êtes donc retrouvés “à la rue” ? K.P. : En vue d’aménager le chalet, j’avais vendu mon appartement. Au début, nous avons donc été en caravane sur notre ter- rain. Mais une “maison” d’1,48 m de lar- ge avec trois enfants, inutile de préciser que ça devient vite invivable, on deve- Depuis plus de deux ans, Karine Palomba et sa famille vivent un véri- table cauchemar. Aujourd’hui, ils atten- dent de pouvoir récupérer leur argent. “Nous avons sûrement été trop laxistes.”

la famille Palomba a vécu à cinq dans une caravane.

nait dingues. Puis nous avons choisi d’al- ler dans un gîte. Nous avions loué pour une première période au bout de laquelle il a fallu partir. Nous avons dû en relouer un autre à chaque fois que le délai de livrai- son était repoussé. En un an, nous avons déménagé 21 fois. Avant de demander à la famille de nous héberger. C.à.d.: Vous ne semblez pas être les seules victimes de cet “escroc” ! K.P. : Non, et c’est cela qui nous “rassu- re” un peu. D’autres victimes qui habitaient

à 700 km du Haut-Doubs sont venus le voir exprès à Saint-Point-Lac. Ils l’ont ren- contré et apparemment, il a réussi à les retourner en leur promettant qu’ils seront livrés en octobre. Ils sont repartis confiants. Nous, bien sûr, nous n’y croyons plus. Nous avons sûrement été trop laxistes en atten- dant trop longtemps avant d’agir. Aujour- d’hui, nous témoignons pour éviter qu’il fasse d’autres victimes.

Propos recueillis par J.-F.H.

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