Journal C'est à Dire 123 - Juin 2007

46

L E P O R T R A I T

Maîche Y aura-t-il de la neige à Noël ? À 31 ans, Frédéric Parrenin est climatologue-glaciologue à Grenoble. Il a effectué une mis- sion de plus de deux mois en Antarctique pour retirer de la calotte glaciaire les archives sur le climat des époques passées afin de faire le point sur le réchauffement de la planè- te. Rencontre avec un garçon que la santé de la terre ne laisse pas de glace.

“A lors, comment va la terre ?” A la question, Frédé- ric Parrenin réplique par un sourire. Pour le climatologue-glaciologue qu’il est, l’interrogation est trop vas- te pour y répondre par des for- mules aussi simplistes que : elle va bien, mal ou ça pourrait être pire. De toute évidence, pour un scientifique qui passe son temps à écouter la planète, évoquer l’état de santé de l’astre impo- se un discours plus étayé qui tion. “La terre, on lui marche dessus, dans tous les sens du ter- me. Notre civilisation empiète sur le fonctionnement naturel d’un ensemble. Le climat se réchauffe. Il n’y a plus de doute sur ce point.” La question est de savoir si l’ homo sapiens que nous sommes sont les seuls éléments perturbateurs d’un système dont ils font partie intégrante. Les suspicions sont fortes, mais le ton n’est pas alarmiste pour autant. tiendra difficilement en une heure. Toutefois, en pédagogue - et par- ce qu’il nécessaire de communiquer aujour- d’hui sur le sujet - il ten- te de résumer la situa-

Frédéric Parrenin a 31 ans. Après des études poussées en mathématiques, il a décidé de mettre ses connaissances au ser- vice des sciences de la vie et de la terre, un secteur de recherche qui lui paraissait moins “marginal” par rapport aux enjeux de société, et donc plus intéressant pour réaliser sa thèse. Il s’est réorienté en 1999, “alors que l’on commen- çait à parler des problèmes cli- matiques” dit-il. Son champ d’in- vestigation : les carottes de gla- ce qui nous racontent l’histoire des climats passés. Ce sujet lui a ouvert les portes du laboratoire de glaciolo- gie de Grenoble (une antenne du C.N.R.S.) pour lequel il travaille désor- mais. C’est donc en allant inspecter les zones les plus froides de la planète que le chercheur peut avancer des hypothèses sur les futurs changements climatiques. C’était d’ailleurs tout l’objet de la mission franco-italienne à laquelle il a participé en 2005. Un groupe de scientifiques est parti en Antarctique prélever des échantillons de glace. Une aventure de deux mois et demi,

sur la base de Talos Dome plan- tée à 2 500 m d’altitude sur ce continent blanc et froid battu par le vent, comparable “à une grande plaque de verglas.” C’était en novembre, l’été au pôle sud. La période la plus chaude de l’année durant laquelle le soleil ne se couche jamais : “Il fait le tour de l’horizon.” La tempé- rature flirte avec les 0 °C sur la côte et les - 40 °C dans “les terres.” À ces latitudes, il n’y a pas de végétation, et pas d’odeur si ce n’est celle de la fien- te des manchots comme sur l’île française Dumont d’Urville qui abrite une colonie de 30 000 indi- vidus. C’est dans cet univers, pur en apparence, qu’avec ses colla- borateurs Frédéric Parrenin a effectué des forages. Ils ont carot- té la calotte glacière sur 600 m de profondeur. L’équipe qui leur a succédé a poussé les investi- gations jusqu’à 1 300 m. Le prin- cipe de l’opération est d’extra- ire les échantillons de glace qui enferment les archives de la ter- re. “La glace abrite des bulles de gaz qui sont analysées. C’est une référence très pure car elle n’a jamais été parasitée. Ces données nous renseignent sur les évolutions à venir” résume

le scientifique qui étudie en ce moment les morceaux dans le laboratoire grenoblois. Les résultats ne sont pas très encourageants. C’est sûr, le cli- mat se réchauffe. Le phénomè- ne va s’accentuer mais dans des proportions différentes d’après les spécialistes. Tout dépend de l’évolution de l’activité humai- ne. “Notre destin est entre nos mains” rappelle le climatologue. La communauté scientifique a élaboré plusieurs scénarios. L’optimiste parle d’une haus- se d’un peu plus de 2 °C d’ici à l’horizon 2100. Le pire prévoit un réchauffement de la planè- te de l’ordre de 6,4 °C sur la période. “Cela signifie par exemple qu’en 2050, il n’y aura plus de banquise en été.” Par inertie, même si on décidait de stopper toute activité, l’émis- sion de gaz à effet de serre est telle que dans tous les cas le globe continuerait de se réchauf- fer. “L’Homme modifie la ter- re, il faut s’en faire une raison. Il s’adaptera à la situation c’est certain. Mais économiquement, nous n’avons pas intérêt à ce que le climat se réchauffe. Le niveau des mers va monter, les pluies diluviennes seront plus fré- quentes, et les canicules aussi.

“L’Homme s’adaptera à la situation.”

Frédéric Parrenin repartira en Antarctique dans quelques mois pour une nouvelle mission scientifique.

Ensuite d’un point de vue envi- ronnemental, la hausse des tem- pératures va s’accompagner de la disparition d’un certain nombre d’espèces. En supprimant de la biodiversité, on va sup- primer de la vie. Au regard de la tempêter médiatique qui défer- le sur le sujet, je pense qu’on va

régir. C’est bon signe.” Alors comment va la terre ? Elle tousse, et le diagnostic confirme que son état de santé restera au mieux stationnaire et au pire… il faut s’attendre à vivre dans le Haut-Doubs comme sur la Côte d’Azur. C’est dire. T.C.

Made with FlippingBook - Online Brochure Maker