Journal C'est à Dire 118 - Janvier 2007

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Le Haut-Doubs en général et le Val de Morteau en particulier portent encore les traces d’une aventure horlogère qui a assu- ré la prospérité et une renommée internationale à toute la ban- de frontalière pendant des décennies. Les ateliers foisonnaient partout dans Morteau à côté des grandes fabriques dont cer- taines employaient plusieurs centaines de personnes. Au départ de cet essor industriel, il y a des hommes, des femmes et des familles, qui ont fait prospérer leur affaire. C’est le cas de la manufacture Cattin. Son fondateur est Émile Cattin (1904- 1979), un autodidacte qui a donné à sa société une envergu- re internationale. Dans ce dossier, le Journal C’est à dire vous propose de découvrir le premier volet d’une des plus grandes sagas horlogères du Haut-Doubs. Horlogerie : la saga Cattin Au temps glorieux de l’industrie locale Émile Cattin, un géant ambitieux Industrie Si la manufacture horlogère Cattin a connu ce destin, c’est grâce à son père fondateur, Émile Cattin, un autodidacte issu d’un milieu modes- te. Il était animé par une seule priorité : réussir.

A u départ des plus belles aventures indus- trielles, il y a souvent un homme. Émile Cat- tin faisait partie de ces capi- taines d’industrie dont l’envie d’entreprendre a marqué l’his- toire horlogère du Val de Mor-

(N.D.L.R. : Née Gruet, elle tra- vaillait à la chocolaterie Klaus). Il avait obtenu un prêt de Maître Lemoine, notaire à Morteau. Cela lui a permis d’acheter ses pre- mières ébauches. Il les a mon- tées et a commencé à vendre ses montres” se souvient Constant

teau. Né en 1904, “il était d’une époque où si on était malin et si on avait des idées, alors on pouvait réus-

Vaufrey, un ancien cadre de chez Cattin entré dans la société en 1948, qui anime aujourd’hui le musée

“Un jour nous construirons une usine.”

sir” estime Régis Cattin, son petit-fils. Celui qui était sur- nommé amicalement “Milo” avait ces deux qualités avec en pri- me, “un sens inné des affaires” disent ceux qui l’ont côtoyé. L’homme, un grand costaud cha- rismatique de plus de 1,80 m, s’est lancé dans l’horlogerie à 25 ans. Comme beaucoup à cet- te époque, il est parti de rien. Un “ self-made-man ” qui fut ber- ger dans son enfance. “Il a com- mencé avec son épouse Juliette

de l’horlogerie de Morteau. L’as- semblage des pièces se faisait sur le bord de fenêtre. C’est com- me cela qu’il a démarré, “en par- tant sur les marchés avec son vélo et sa musette pour vendre ses produits.” Avant la guerre, Émile Cattin s’installe rue de l’Helvétie à la sortie de Morteau, où il construit d’ailleurs l’hôtel des Terrasses dont la salle de bal a vu danser des générations de Mortuaciens. Les ateliers sont à la même

Émile Cattin et son épouse Juliette.

adresse. Il gérait cette affaire en famille, en parallèle de son activité horlogère. “L’établisse- ment sera réquisitionné par les Allemands pendant la guerre”

précise Régis Cattin. Quel rap- port entre l’hôtellerie et l’hor- logerie ? Aucun, si ce n’est l’en- vie d’entreprendre qui animait cet homme besogneux.

Mais pour beaucoup, la réus- site d’Émile-Césaire Cattin est un mystère. Elle a suscité les jalousies dans le Val de Morteau où un certain nombre de rumeurs ont couru sur son comp- te, notamment pendant la secon- de guerre mondiale, période hou- leuse durant laquelle il a fermé la société d’horlogerie pour la rouvrir en 1947. Parmi les anec- dotes, on raconte que certaines personnes sont même allées jus- qu’à gratter le pare-chocs de sa voiture le soupçonnant de pas- ser de l’or en Suisse. Les critiques les plus vives n’ont pas eu raison du personnage qui commence à fabriquer ses propres ébauches juste après la guerre. “Je me souviens, nous n’étions pas plus de huit dans l’atelier de la rue de l’Helvétie. Je me souviens qu’il me disait : “Tu sais Constant, un jour nous construirons une usine, avec des maisons et tu verras comme on sera heureux.” Pas de doute, c’était un homme qui voyait loin” se rappelle Constant Vaufrey. Cette usine, il la construira lorsque les ateliers qui s’étaient

déjà étendus sur l’hôtel des Ter- rasses devenaient trop étroits pour accueillir quatre-vingts employés. La nouvelle usine sort de terre en 1960 avenue Charles de Gaulle. Le bâtiment sera inauguré le 13 octobre 1962. Il accueillera jusqu’à 360 salariés. L’aventure Cattin est lancée. La manufacture mortuacienne qui n’était tributaire que de quelques fournisseurs extérieurs puis- qu’elle produisait en interne la plupart des composants néces- saires à la fabrication de ses montres, va connaître un des- tin heureux et international en vendant des montres bon mar- ché. Mais comme toutes les grandes aventures horlogères du Val de Morteau, celle des éta- blissements Cattin qui tirait sa force de son indépendance méca- nique finira par disparaître en 1989, date du dépôt de bilan. Cette place forte de l’horlogerie locale, qui semblait indestruc- tible, dans laquelle on entrait pouvant espérer y rester jusqu’à la fin de sa carrière, a fini par vaciller. T.C.

Le “grand” Émile Cat- tin (côté droit de la photo), le jour de l’inaugura- tion de l’usine le 13 octobre 1962.

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