Journal C'est à Dire 115 - Octobre 2006

É C O N O M I E

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“Marché” de la mort

Dans le Haut-Doubs, la crémation est en pleine expansion

En stagnation depuis plusieurs années sur le plan économique, le marché funé- raire est en pleine évolution. Dans le Haut-Doubs, les crémations représen- tent désormais 20 % des obsèques.

D epuis la mi-octobre, FranckBourdenet est débordé. Dans le sec- teur des pompes funèbres, la période qui précède la Toussaint est de loin la plus chargée de l’année. “La tradition reste bien présente, les gens veulent que tout soit propre, bien agencé pour la fête des morts. On installe souvent les tombes pour cette période. C’est une date sym- bolique, tout comme Pâques dans une moindre mesure” , explique le responsable de lamarbrerieRadix, implantée aux Fins. En quelques semaines, il réalise près de lamoi- explique-t-il. Lemarché de lamort est un marché comme un autre. En plus funeste peut-être.Actuel- lement, l’organisation des obsèques représente la troisième dépense des Français après celles consa- crées à la maison et à la voitu- re. Et uniquement pour la tom- be, les prix peuvent varier du simple au double selon les pres- tations choisies, de 1 500 euros à plus de 7 000 euros pour un très beau monument funéraire. Au niveau économique, l’heure est à la morosité sur le secteur funéraire. Le marché est depuis quelques années en stagnation, voire en légère baisse. La faute à une diminution de mortalité “net- te cette année, près de 10 %. La tié de son chiffre d’af- faires annuel en mar- brerie. “De toutemaniè- re après, pendant tout l’hiver, la pose des tombes est stoppée à cause de la neige” ,

surmortalité liée à la canicule de 2003 n’a été qu’une exception” , note Serge Vuillemin, responsable de l’entreprise de pompes funèbres familiales, à Ville-du-Pont. L’autre évolutionmajeure du sec- teur funéraire, c’est l’augmen- tation de la crémation encore pra- tiquement inexistante il y a quelques dizaines d’années. Dans le Haut-Doubs, l’incinération représente désormais près de 20% des décès. Un peu moins encore que la moyenne française (27 %). “Mais la tendance tend à aug- menter de plus en plus. Les cou- tumes sont en train de changer” , “Quand les enfants sont loin se pose la question du devenir de la concession dans le cimetière” , affirme Michel Kawnick, de l’as- sociation française d’information funéraire. Les familles sont aussi plus regar- dantes et consacrent moins à l’or- ganisation des obsèques. “Le mar- ché devient de plus en plus dur, surtout en marbrerie. Les gens se déplacent plus, vont comparer les prix entre les différentes sociétés du secteur” , remarque Franck Bourdenet, qui a remarqué une diminution globale du budget aux monuments funéraires. “On vend beaucoup moins de fleurs et d’ar- ticles funéraires qu’auparavant. Les gens sont moins liés à la reli- explique Marc Grosso. Le secteur funéraire reflè- te l’évolution de la socié- té. L’éclatement et l’éloi- gnement des familles expliquent en partie le succès de la crémation.

À la marbrerie Radix, on vend “moins de plaques et de fleurs qu’auparavant.” Une évolution du rapport à la mort.

gion. On vend aussi moins de très beaux monuments qu’il y a une dizaine d’années” , affirme-t-il. Selon lui, l’évolution du marché est autant liée “à la situation éco- nomique qu’à l’évolution des états d’esprit vis-à-vis de la mort.” “La majorité des gens veulent avoir quelque chose de correct mais sans exagérer les prix pour autant. C’est comme sur les autres marchés” , ajoute aussi Serge Vuillemin. Dans le même temps, les per- sonnes sont aussi de plus en plus nombreuses à s’occuper avant leurs décès de leurs obsèques, via des contrats-obsèques. “Certains vien- nent aussi choisir lemonument en avance. Les gens ont alors tendance à en choisir de plus beaux” , affir- me-t-on à la marbrerie Radix. Le secteur funéraire a de beaux jours devant lui. L’association fran- çaise d’information funéraire esti- me que de 540 000 décès annuels actuellement enFrance, le nombre annuel demorts devrait atteindre 650 000 à 700 000 dans une quin- zaine d’années. S.D.

“Certains vien- nent aussi choisir le

monument en avance.”

Les monuments funéraires ont tendance à être plus simples qu’auparavant.

“Les familles veulent être critiques, savoir ce qu’on leur facture” Interview

À Villers-le-Lac, la mairie gère sa propre chambre funéraire

C’ est un des rares équi- pements de ce type géré par une munici- palité dans tout le Haut-Doubs. “On voulait un équipement de proximité, pour les familles qui habitent ici. On avait déjà une pièce pour entreposer les corps des défunts dans un petit bâti- ment du cimetière, mais c’était un peu lugubre”, explique Clau-

de décès enregistrés à Villers- le-Lac. Depuis plusieurs années, les funérariums sont en pleine expansion. La plupart gérée par des sociétés privées, comme à Morteau, où un funérarium de quatre chambres a été créé. “Près de 80 % des décès que nous suivons utilisent le funé- rarium. Il y avait une demande

Président de l’association française d’information funé- raire, Michel Kawnick met en garde les familles contre les abus de certaines sociétés de pompes funèbres.

un processus de rattrapage de nos voisins, où l’incinération est bien plus développée qu’en France. Une loi vient d’être adoptée pour contrôler le devenir des cendres des défunts. Auparavant, les familles avaient une totale liberté de faire ce qu’elles en vou- laient. Désormais, il ne sera plus possible de conserver à domicile les restes funéraires et lorsque les cendres seront dispersées, la mai- rie du lieu de dispersion devra en être aver- tie. Càd : Le contrat obsèques se développe également… M.K. : C’est le résultat d’un véritable mar- keting . Il ne faut pas faire croire aux per- sonnes qu’elles seront détestées par leurs enfants si elles n’organisent pas elles-mêmes leurs propres obsèques. Des prestations nul- lement obligatoires sont aussi souvent incluses manumilitari sans explication dans le contrat, comme le transport dans une chambre funé- raire alors que si le décès a lieu dans un hôpi- tal, le maintien du corps dans une chambre mortuaire du centre de soin est gratuit pour la famille. Le message que l’on cherche à fai- re passer, c’est qu’il n’y a pas d’urgence pour les familles.

C ’est à dire : Depuis la dérégle- mentation du marché funérai- re, les prix ont-ils diminué ? Michael Kawnick : Durant les premières années, il y a eu une baisse du coût des obsèques mais ensuite, c’est reparti à la haus- se dans certaines régions, notamment à cau- se d’ententes entre sociétés. Là où globale- ment peu de nouvelles sociétés se sont implan- tées, les prix sont souvent les plus élevés. Ce qu’on remarque globalement, c’est unmanque de volonté des entreprises de pompes funèbres qui préfèrent s’entendre pour ne pas com- muniquer sur les prix. Càd : Y a-t-il parfois des abus ? M.K. : Oui, mais il y a une évolution des men- talités des familles qui sont plus critiques face à une dépense qui est quand même importante pour les familles. Il y a quinze ans, 3 % des familles seulement demandaient un devis, actuellement près de 60 % des

familles ont obtenu au moins deux devis. C’est une véritable révolution. Les familles veulent être critiques, savoir ce qu’on leur facture. Elles agissent avec un esprit consu- mériste. Il faut aussi que les entreprises s’en- gagent dans une éthique commerciale. C’est très facile de faire signer n’importe quoi, il existe des brebis galeuses avec des straté- gies de marge, des prix extrêmement élevés. Les familles doivent être vigilantes. Càd : Quelles sont les évolutions dumar- ché funéraire ? M.K. : L’incinération n’est plus atypique. Il y a trente ans, les crémations représentaient moins de 1 % des obsèques, maintenant, 27 % des personnes sont incinérées au niveau fran- çais avec des différences bien sûr entre les centres urbains et des régions rurales où l’in- fluence religieuse et les traditions sont enco- re fortement implantées. D’ici 10 à 15 ans, cette proportion devrait progresser et atteindre 35 à 38 % des obsèques. Cela participe à

de Rognon, de la mai- rie de Villers-le-Lac. Depuis deux ans, la municipalité a aména- gé une petite chambre funéraire - adaptée pour un seul corps - dans

forte. L’important, c’est le service apporté aux familles. Ici, elles dis- posent d’un salon où elles peuvent de repo- ser, par exemple”, explique Marc Grosso,

Une chambre mortuaire sous la mai- rie.

l’ancien logement du concier- ge de la mairie, sous celle-ci, au centre du village. “Il y avait de plus en plus de demande, même si des familles souhai- tent encore conserver leurs morts à la maison”, reprend-on à la mairie, dont la chambre funéraire accueille une ving- taine de familles de défunts chaque année, sur la trentaine

qui a créé et gère le funérarium. Prestation différente, prix diffé- rents. Les coûts entre structu- re municipale et privée ne sont pas les même pour les familles. Il faut compter 125 euros pour le séjour du corps à Villers-le- Lac, moins qu’au funérarium de Morteau, qui n’a cependant pas souhaité communiquer ses prix.

Site internet : www.afif.asso.fr

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