Journal C'est à Dire 98 - mars 2005

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V A L D E M O R T E A U

Agriculture

La filière bio à la recherche de son second souffle À la différence du Jura où le bio fut initié par un élan militantiste, l’origine du mouvement dans le Doubs revient à l’affineur Marcel Petite. Il fut l’un des premiers à croire à l’avenir du bio dans la filière lait. Il encouragea ainsi dans les années 70, plusieurs fruitières à se convertir. Si aujourd’hui le marché du comté bio traverse une période difficile, la maison Petite reste toujours leader sur ce créneau en commercialisant pratiquement la moitié de la production. Les exploitants laitiers sont large- ment majoritaires au sein du Groupement des Agrobiologistes (G.A.B.) du Doubs. Ils approvisionnent également en grande partie une filière viande qui après une tentative de structuration régionale s’est complètement libéralisée. Ces mêmes éleveurs sont également susceptibles de profiter des initiatives lancées en terme d’ap- provisionnement par les céréaliers du Jura et de Haute-Saône. À noter quand même dans le Haut-Doubs, la présence de la minoterie Dornier qui fut parmi les pre- miers fabricants français spécialisés en aliments bio pour ruminants. Quelques productions fermières complètent le paysage bio du département. Comme partout, la situation n’est pas euphorique. Aujourd’hui, si les modes de commercialisation en vente directe tirent leur épingle du jeu, d’autres marchés peinent à se développer. Production supérieure à la demande, manque de soutien des pouvoirs politiques, distorsion de concurrence avec les autres pays européens, les raisons du mal sont multiples. Les remèdes passent par la recherche de nouveaux débouchés et par là même de nouveaux consommateurs.

Rencontre “L’État a mis sur la paille de nombreux producteurs”

Le G.A.B. est constitué en très grande majorité d’exploitants laitiers. Son président Jean- Louis Guillaume déplore l’insuffisance de transformateurs locaux et les incohérences d’une politique gouvernementale qui tarde à soutenir la promotion du bio. L’avenir du bio dans le Doubs comme en Franche-Comté passe par un développement de l’en- semble des modes de commercialisation, y compris la grande distribution. Groupement des Agrobiologistes du Doubs Un manque de transformateurs de proximité

C’ est à dire : Pouvez-vous nous pré- senter brièvement les différentes composantes de la structure que vous présidez ? Guy Reynard : Interbio Franche-Comté a vu le jour en 1996, suite à la modification des statuts de l’association régionale de l’agriculture biolo- gique. Elle comprend 4 collèges : producteurs issus des trois groupements départementaux, trans- formateurs-distributeurs soit environ une qua- rantaine d’entreprises, consommateurs et les prestataires de services qui incluent les chambres d’Agriculture et les établis- sements de formation. Seuls les deux pre- miers collèges ont droit de vote. Le pré- sident est élu tous les 3 ans avec une alter- nance entre les producteurs et transfor- mateurs. Aujourd’hui, sur les 350 producteurs bio en Franche-Comté, 280 adhèrent à Interbio. Càd : Quelles sont vos missions ? G.R. : Être l’interlocuteur de l’ensemble des pro- fessionnels de l’agriculture biologique auprès des instances comme l’État. Promouvoir et défendre l’A.B. Contribuer à la mise en place de tout service et aide potentielle. Soutenir les projets susceptibles de dynamiser l’économie locale com- me, par exemple, les échanges entre les céréa- liers du bas et les éleveurs du haut. On est ini- tiateur de projets. Interbio emploie une salariée permanente et fonctionne avec 3 conseillers des chambres d’Agriculture. Càd : Quel sentiment vous inspire la P.A.C. ? G.R. : Vu comme elle va être construite, elle sera défavorable à l’agriculture biologique car fondée sur des aides aux volumes et aux nombres de têtes, ce qui va à l’encontre de la qualité. Le bio n’en tire aucun bénéfice. Càd : Tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne au sein de l’Union euro- péenne ? G.R. : En effet, la France est le seul pays à ne pas bénéficier d’aides au maintien. Cette dis- torsion de concurrence nous pénalise lourdement. Exemple, entre la France et l’Allemagne, on note une différence de prix du lait de 25 centimes au litre. Au profit de nos voisins. On ne veut pas prendre en compte les spécificités de l’agricul- ture biologique. Le gouvernement cherche plu- tôt à promouvoir l’agriculture raisonnée, sou- tenue par les syndicats majoritaires et accep- tée par la grande distribution. Pour tout ce qu'el- le représente en termes d’environnement et de santé, l’agriculture biologique devrait être la pre- mière à bénéficier de l’éco-conditionnalité. distorsions de concurrence avec les autres pays européens et les actions à entreprendre pour promouvoir les pro- duits bio auprès des consommateurs. Ardent défenseur de l’agriculture biolo- gique qui reste selon lui “le modèle le plus sûr pour la santé de la terre et de l’homme”, Guy Reynard, le président d’Interbio porte un jugement sans concession sur le rôle des pouvoirs publics, la place réservée à l’agriculture biologique dans la P.A.C., les O.G.M., les

L e Doubs compte 126 pro- ducteurs bio qui exploitent 3,3 % de la S.A.U. du départe- ment. “Le Groupement des Agro- biologistes du Doubs s’est d’abord fédéré autour des adhérents des coops qui sont partis en bio avec la maison Petite. Au fur et à mesure des conversions, on s’est étoffé en se diversifiant. Nos objectifs sont restés les mêmes : actions de formation, représen- tation dans les structures régio- nales et nationales, conseils explique Jean-Louis Guillaume. Sociétaire à la fruitière des Cer- neux-Monnot convertie au bio depuis 1976, Jean-Louis Guillau- me subi lui aussi la morosité qui traverse cette filière. “Tout est fabriqué en bio mais ça ne suit plus au niveau de la commer- cialisation. Avant la dernière vague des reconversions, 6 à 7 % de la production étaient déclas- sés car non conforme au niveau de qualité exigé. Avec le déve- loppement de la production, la part du déclassement est mon- tée jusqu’à 30 %. Je pense qu’on avait raison de tirer la sonnet- te d’alarme. Il est nécessaire d’ar- rêter les conversions, le temps d’assainir le marché.” Membre de la commission vian- de à Interbio, Jean-Louis Guillau- me a suivi de très près la mise en place en 1997 de la filière régionale “viande biologique” qui s’est soldée par un abandon après quelques années d’existence. “À l’époque, la demande était supé- rieure à l’offre. L’opération régio- nale s’est structurée autour d’une filière longue nationale soute- nue par les achats d’Auchan. ça a très bien fonctionné pendant 3 ou 4 ans. Quand la filière natio- nale a commencé a périclité à cause d’une baisse des prix et l’arrivée de nouveaux interve- nants, la situation est devenue trop difficile à gérer. Aujourd’hui, le marché s’est libéralisé et l’ac- tivité semble assez vivace. En Franche-Comté, on souffre du manque de transformateurs industriels dans le secteur du bio en bovins comme en porcs.” Sur la question des débouchés bio qui ne sont plus pas en pha- se avec la production, le prési- dent du G.A.B. rejette la faute sur les pouvoirs publics. “À eux d’assumer ce qui a été fait. L’É- tat doit nous accompagner davan- auprès des producteurs bio et participation à la mise en place de filières régionales ou opéra- tions collectives telles que les commandes groupées d’engrais”

tage dans la promotion du bio, ce qui permettra de toucher d’autres publics potentiels.” En tant que membre d’une asso- ciation de consommateurs bio, il constate également les diffi- cultés auxquelles sont confron- tées ces structures pour s’ap- provisionner localement. “Ces lacunes ont fait l’objet d’un début de concertation à Interbio qui cherche à développer ces mar- chés locaux.” Jean-Louis Guillau- me admet que les distorsions de

C’est clair que c’est une utopie de penser comme ça dans le contexte actuel. Pour ma part, j’estime également qu’on a un soutien raisonnable de la part des chambres d’Agriculture.” Il reste fondamentalement oppo- sé aux O.G.M. et craint surtout les risques de contamination venant de l’agriculture conven- tionnelle. “Les O.G.M. ne sup- pléent pas, par exemple, la ques- tion des pesticides. Au contrai- re, on va vers des résistances et finalement, on en produit de plus en plus. ça pose plus de pro- blèmes que ça n’en solutionne. On ne se donne plus le temps de digérer les progrès. Quant au bio, son avenir passe par le déve- loppement des circuits courts mais également de la grande dis- tribution qu’il ne faut surtout diaboliser de façon radicale.” !

concurrence se réper- cutent sur les coûts de production d’un pays à l’autre. Il reste cepen- dant modéré sur l’in- térêt d’être aidé. “Ce n’est pas forcément

“Arrêter les conversions, le temps d’assainir le marché.”

Càd : La dernière campagne de conversions a semble-t-il fait plus de mal que de bien ? G.R. : Sur ce volet, j’estime qu’en France, on a été à la limite de l’injustice. En soutenant lar- gement les conversions jusqu’en août 2002 sans se soucier des débouchés, l’État a mis sur la paille de nombreux producteurs. En 2001, on avait déjà tiré la sonnette d’alar- me auprès de la D.D.A. et de la D.R.A.F. Les résultats de cette politique incitati- ve sont explicites. Il y a eu entre 25 et 40 % d’augmentation de la production en 3 ans et, parallèlement, la progression de quelques points, voire la stagnation sur certains marchés, de la consommation. Càd : Peut-on remédier à ce déséquilibre ? G.R. : Le fait d’avoir resserré les boulons va nous permettre de revenir à un certain équilibre d’ici quelques années. Cette démarche va se tra- duire par des “déconversions”, la remise à niveau des vrais producteurs bio et le retour d’un panel de consommateurs qui devront être mieux infor- més. Une telle opération devra nécessairement s’appuyer sur les pouvoirs publics pour favori- ser la promotion de l’A.B. Càd : Votre position sur les O.G.M. ? G.R. : On reste fermement opposé à l’arrivée des O.G.M. sinon, c’est toute l’agriculture biologique en Franche-Comté qui risque de disparaître. Par rapport à ce problème, on a une seule obligation de résultat, c’est l’absence d’O.G.M. et cette posi- tion n’est pas négociable. Il n’y a qu’un seul remè- de pour lutter contre les O.G.M. : aller vers l’au- tonomie. On appuie également pour que l’État applique à la lettre le principe du pollueur-payeur. Càd : Interbio est déjà dans les prépara- tifs du “Printemps bio” ? G.R. : Oui. L’édition 2005 se tiendra les 4 et 5 juin à Besançon. Si l’on veut que les consomma- teurs nous trouvent, il est nécessaire d’être pré- sents sur leur zone de consommation à travers ce type d’événement organisé en partenariat avec la Ville. On réfléchit actuellement à l’idée de regrouper des producteurs fermiers en met- tant en place un marché bio sur Besançon. Cet- te perspective n’est encore qu’un projet, rien n’est fait. ! Propos recueillis par F.C. Guy Reynard espère un retour à l’équilibre entre production et consommation d’ici quelques années.

dans l’esprit bio d’être soute- nu. L’agriculture biologique devrait se suffire à elle-même.

Un marché bio sur Besançon.

Jean-Louis Guillaume estime qu’il ne faut pas diaboliser la grande distribution. Elle peut contribuer au développement de l’agriculture biologique au même titre que les autres modes de commercialisation.

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